12èmes Jeux Africains, les enjeux et le grand jeu du Maroc

12èmes Jeux Africains, les enjeux et le grand jeu du Maroc

Les Jeux africains, dans leur 12ème édition, démarreront ce lundi 19 août à Rabat, et les Marocains mettent les petits plats dans les grands pour réussir « leurs » Jeux. Il est vrai que cette édition est exceptionnelle, à tous points de vue, essentiellement politique et sportif. Quelques 6.400 athlètes sont attendus, venant des 54 pays africains, en plus de dizaines de journalistes internationaux, le tout servi par 3.000 jeunes bénévoles marocains.

Les JA, une première olympique mondiale

En quoi cette 12ème édition marque-t-elle une rupture par rapport aux précédentes ? Ce sera la première fois que ces Jeux seront qualifiants aux prochaines Olympiades d’été, qui se dérouleront à Tokyo en 2020. Ainsi, sur 26 disciplines en compétition au Maroc entre le 19 et le 31 août, 17 seront qualifiantes et enverront directement les meilleurs athlètes au Japon, et les meilleurs athlètes seront ceux qui monteront sur les podiums et/ou qui obtiendront les meilleurs classements dans leurs disciplines sportives.

Il s’agit également d’une première car l’Afrique devance l’Asie et l’Europe dans cette réglementation qualifiante. Ayant été sollicité pour accueillir les JA face à une Guinée équatoriale défaillante, le Maroc a fait part de son scepticisme face à la réelle utilité de Jeux qui ne qualifieraient pas les meilleurs athlètes aux JO de Tokyo ; c’était là une forme de pression pour ancrer l’Afrique dans le mouvement olympique, et le Comité international olympique (CIO) a dit oui. La pression a fonctionné, le Maroc accepte d’accueillir les jeux et l’Afrique sportive (avec tous ses sigles) est contente.

Un succès diplomatique fort discret

Et bien entendu, en Afrique come ailleurs, tout est politique. Ainsi, comme pour le football ou pour tout autre événement nécessitant une capacité d’organisation et d’accueil particulière, le Maroc a été sollicité, et a accepté, après le désistement de la Guinée équatoriale, justifié officiellement par le fait que ces Jeux africains ne seraient pas qualificatifs. Mais la raison semble être ailleurs car il aurait simplement fallu insister pour cette nouvelle réglementation. C’est ce que le Maroc a fait, et c’est ce que le Maroc, et l’Afrique, ont obtenu.

Le royaume aura donc le privilège de « sauver » ces Jeux en les accueillant, puis de mieux les arrimer à l’Olympisme en assurant la qualification continentale pour plus de la moitié des disciplines disputées. Il aura fallu une diplomatie sportive aussi discrète qu’efficace… En effet, un épisode était également passé discrètement, avec l’insistance des Algériens et de leurs inévitables amis sud-africains pour imposer cette chose appelée RASD. Réponse (rusée) des Marocains : Nous ne faisons pas de politique, mais du sport ; aussi, nous acceptons tout le monde, pour peu que chaque pays soit reconnu par le CIO, lui-même n’accueillant que les nations siégeant à plein droit à l’ONU… Savoureux.

Le Maroc à l’œuvre et à la manœuvre

Et ainsi donc, en novembre dernier, Rabat a dit oui à l’accueil des 12èmes JA mais, comme on le sait, le Maroc ne dispose pas des meilleures infrastructures de la planète. Oh, il en a les bases et les fondements, c’est-à-dire des équipements existants, mais sévèrement obsolètes ; il aura donc fallu tout remettre à niveau dans un délai de 9 mois… 6 mois pour être plus précis car entre l’accord politique et les lancements effectifs des travaux, il a fallu passer par les différentes démarches réglementaires et administratives : que veut-on ? Comment le veut-on ? Quelle(s) entreprise(s) pour réaliser ce qu’on veut ?…

Le deal était de transformer en quelques semaines des infrastructures souffreteuses en structures prometteuses, normées CIO, ce que le Maroc n’a jamais eu… lui qui a candidaté 5 fois au Mondial de foot, mais jamais à un événement olympique.

Et de fait, tous les travaux et aménagements entrepris par le Maroc sont passés à l’examen de l’œil fureteur et implacable d’un duo de sigles, en l’occurrence l’UCSA et l’ACNOA, respectivement Union des Confédérations Sportives Africaines et Association des Comités Nationaux Olympiques d’Afrique. La première est en charge des aspects techniques de la compétition et la seconde s’occupe de la gestion et de l’organisation des JA. Chaque aire de compétition (terrain, tatami, piste, ring…) déclarée prête par les Marocains est immédiatement observée, examinée, scrutée, décortiquée par les gens de l’ACNOA, leurs amis de l’UCSA, le tout sous la supervision intraitable du CIO. Il est vrai que de là, à Rabat et Casablanca, partiront des athlètes là-bas, à Tokyo. Il faut donc assurer !

Le complexe Moulay Abdallah à Rabat, terrain et salle couverte, le centre Moulay Rachid de Rabat aussi, le complexe Moulay Abdallah de Casablanca et sa piscine à l’âge vénérable et...

à la maintenance discutable… tout cela a connu une cure de jouvence pour être mis à l’air du temps, plaire aux athlètes et satisfaire les gendarmes des sigles susmentionnés…

Arrivent les conditions techniques et technologiques… Des athlètes vont courir et concourir, sauter, tirer, combattre, mais il faudra bien cadrer et surtout enregistrer et chronométrer leurs performances car des records sont en jeu et forment l’enjeu de ces Jeux. Un uppercut en boxe à ne pas rater, un millième de seconde en course à prendre en compte, des tensions et autres extensions à capter, et le tout à transmettre en temps réel sur les grands tableaux sur sites, à la télé, et sur les écrans CIO, au siège du CIO, en Suisse… tout cela nécessite de la haute technologie, et les entreprises en pointe ne sont pas légion. Il a fallu les trouver, s’assurer de leur certification CIO, dealer avec elles et les presser de se mettre au travail.

Il reste le logement des 6.400 athlètes et les hymnes, les drapeaux… Le Comité d’organisation des Jeux (ou COJAR) a aménagé un village africain dans l’enceinte de l’Université internationale de Rabat et d’autres espaces de logements sont prévus à la Cité du boulevard Ziraoui à Casablanca. Quant aux hymnes, cela ne se sait pas assez, mais il s’agit de toute une procédure, avec validation des drapeaux et des hymnes par les Affaires étrangères, afin d’éviter tout impair qui serait mal interprété. Imaginez l’hymne guinéen qui retentit avec la levée des couleurs équato-guinéennes, ou une tragique confusion entre les couleurs et les sons du Soudan et du Soudan du Sud…

Enfin, pour la mascotte, tout le monde a convenu d’un Lion… pas un Lion de l’Atlas, ceci est autre chose, et pas un Lion Africain, ce qui est aussi totalement différent.

L’héritage des JA

Le Maroc dépensera plusieurs centaines de millions de DH pour ces JA (le montant exact n’est pas encore connu), mais gardera pour lui, pour ses jeunes et ses moins jeunes, tous ces équipements, construits voici longtemps et laissés en l’état depuis longtemps. Ainsi par exemple du complexe Mohammed V de Casa qui n’a pas été rénové depuis… 1984, année des Jeux Méditerranéens de Casablanca.

Et puis, on ne le dit pas assez, mais ces JA permettront une meilleure intégration du royaume dans son environnement africain. Assurer des Jeux qualificatifs aux Olympiades, « sauver » une compétition qui menaçait ruine en Guinée équatoriale, accueillir des athlètes qui, sans nul doute, reviendront s’entraîner sous nos cieux après les Jeux et en préparation de Tokyo… tout cela est un incontestable succès diplomatique pour le Maroc de plus en plus africain, assuré et assumé.

La cérémonie d’ouverture des JA

Bien évidemment, le plus grand secret entoure la cérémonie d’ouverture qui se tiendra le lundi 19 août. Rien ne filtre, ou presque… Ainsi, on sait que cette cérémonie nocturne sera en son et lumière, exaltant le continent africain, mais aussi le Maroc entre hier et aujourd’hui, et peut-être aussi demain.

Il est de coutume que le pays organisateur d’un grand événement sportif consacre l’ouverture à lui-même, sa vie, son œuvre, et le Maroc ne devrait pas déroger à cette règle. Interrogé, le ministre de la Jeunesse et des Sports Rachid Talbi Alami maintient le suspense, déclare vouloir rester discret, mais ne peut retenir un « vous allez être surpris ! ».

Cette cérémonie d’ouverture verra la participation de plusieurs milliers de figurants, aux alentours de 3.000 qui, tout au long de l’heure de spectacle enchaîneront danses, fresques et chorégraphies diverses et différentes. Les 60.000 personnes qui seront dans le stade pourront voir tout cela, en même temps que les milliers d’autres qui seront réparties sur les 5 Fan Zone de Rabat (Espaces Souissi, Oudaya, Bouregreg et Chellah).

 

Ainsi donc, cette 12ème édition des JA sera effectivement exceptionnelle, et profitable à plus d’un titre… Le Maroc sportif en gardera les infrastructures et autres équipements, mais il gagnera également en expérience dans l’organisation de tels événements mondiaux. Peut-être qu’un jour, il osera concourir pour une Olympiade, ou peut-être pas.

Par ailleurs, en termes politiques et diplomatiques, le royaume renforce encore plus sa présence en Afrique, lui qui, après avoir été organisateur de la CAN 2015 (déplacée ailleurs en raison du risque Ebola), a été pressenti et même sollicité pour abriter celle de 2019, avant de s’éclipser volontairement face à l’Egypte Sissienne. Aujourd’hui, avec ces premiers JA qualifiants pour les Olympiades, le Maroc réussit un joli coup.

Pas la peine de compter la dépense… quand on aime, dit-on, on ne compte pas. Soit.

Aziz Boucetta