« j’avais envie que mon art parte de cette terre » Linda Bougherara, Entretien

« j’avais envie que mon art parte de cette terre » Linda Bougherara, Entretien

« Entre Terre et Mer » de Linda Bougherara (Photo)

En marge du forum « l’Arbre à Palabres » ce vendredi à l’Institut français d’Essaouira moment d’échanges incontournables de la 21ème édition du Festival Gnaoua, Panorapost s’est entretenu avec Linda Bougherara 'photo ci-contre) artiste plasticienne franco-algérienne, qui pour rappel a été parmi les artistes sélectionnés pour présenter son installation « Entre Terre et Mer » en papier végétal et papier d’algues à la COP 22 de Marrakech en 2016. Elle a participé à de nombreuses expositions dans le monde : Bale, Paris, Londres, Venise, Miami, Alger, Casablanca, Rabat et Marrakech.

En exposition du 19 juin au 21 juillet, à l'Institut français d'Essaouira intitulée « Mémoire et Matière » où elle expose « les sept saintes. »

Linda peint en faisant corps avec la matière. Ou plus justement avec le cœur de la matière. Quelle que soit la matière ou le support utilisé, papier, tissus, algues, livres peints, ou la technique plastique, aquarelle, fusain, dessin à l’encre de Chine, sa création, est en constant dialogue avec sa philosophie et sa culture en constantes correspondances avec la Nature. Entretien.

A quoi consiste votre travail en tant qu’artiste plasticienne ?

 Mon travail tourne autour de la mémoire de la terre, la mémoire de la mer parce que je travaille avec des éléments naturels, des algues... que je transforme en papier. Ces éléments viennent de l’atlantique, de la méditerranéen, des végétaux comme le palmier que je fais cuire. C’est un peu la même recette qu’on utilise pour le papier russe que je l’utilise pour 2018. Tout ce travail basé sur les éléments de la nature est notre mémoire à nous, c’est mettre l’Afrique à l’honneur avec ses végétaux, ses algues avec lesquels j’avais fait toute une série de buste de femme que j’avais intitulé : Africaine de terre, Africaine de mer, Afrique de sang, en clair tout ce que nous sommes.                          

 Pouvez-vous revenir un peu sur les moments qui vous ont amené jusqu’ici ?

Aritste plasticienne, j’avais commencé tout ce travail au Maroc à Azzemour avant de partir ensuite en Algérie où j’ai ramassé des végétaux et des algues que j’ai amenés au Maroc afin de les transformer en papier. Du coup je les ai assemblées (algues et végétaux) ici à Essaouira, et qui d’une certaine manière me donne envie de développer des choses afin de montrer en même temps aux enfants, aux femmes, aux hommes… en bref, toute la société qu’on peut faire son propre papier soit même. Cela est aussi valable pour le papier de récupération. D’ailleurs, les gens n’arrivent pas à croire qu’à partir du palmier on peut faire du papier. Et pour protéger la nature, il suffit de ramasser les feuilles qui tombent. Tout ceci pour montrer l’authenticité de la création africaine.

Par ailleurs, je trouve que la terre du continent africain a une très grande richesse, et en tant qu’artiste qui vit en Europe, j’ai envie que mon art parte de cette terre, parce que tous ces éléments que j’utilise partent de cette terre. L’histoire de ces femmes et de ces hommes que je raconte, ils sont africains, c’est n’est pas que je ne montre pas mon travail en Europe, mais je pense que ça n’a pas de sens parce que le public doit être ce public africain. Voila les raisons pour lesquelles j’ai élu domicile ici et puis cela m’a ouvert des portes notamment m’a participation à la COP22 et pleins d’autres avec un beau travail autour de la mémoire autour de ces femmes et de ces cultures, donc c’est important que le public d’Essaouira puisse le voir. Et puis à la rentrée, je vais monter un atelier de papier végétal et de papier d’algue en espérant le faire à Dakar et dans d’autres villes africaine.                                                                

Pourquoi le choix des éléments de la nature pour faire ce travail ?

 Philosophiquement, j’ai rencontré des artistes magnifiques, notamment une grande artiste française Marie Jeanne Lorente qui vivait ici au Maroc qui m’a initié et qui était une spécialiste du papier végétal. Elle a fait un très bel ouvrage sur le papier végétal. Elle a dit aujourd’hui, Linda a dépassé le maître. Et moi sur mon travail, j’ai toujours travaillé sur du papier de...

Chine, du Japon, du papier artisanal… j’ai toujours été attiré par cette matière qui est un peu difficile, parce que je l’aime, mouillé, trempé… je le malmène, je le fais vivre beaucoup de choses. Le papier a toujours été un support pour moi avec lequel je m’exprime très bien.

Par contre, la toile ne me fait pas peur, j’ai travaillé sur de la toile, mais j’ai trouvé que le papier avait une autre richesse, parce qu’on écrit dessus et ça nous fait penser aux mots aux verbes… Il y’a toute une philosophie autour du papier.

Sept femmes Gnaouas aux sept couleurs nom de votre exposition pourquoi ce choix ?

Chez les Gnaouas et même pour les sept couleurs de l’univers, en réalité chez les soufis, les bouddhistes et toutes les communautés et même les tribus africaines on a cette notion des sept couleurs qui est une philosophie qui représente tous les éléments de la nature. Et chez les Gnouas et les soufis c’est des chants où on prie pour ces saintes en commençant par Lala Aïcha, l’esclave, la soudanaise, la première qui est la couleur noire, c’est ça dureté et elle était enchanteresse. Ensuite on a la blanche, la rouge, la bleue qui est le ciel et la mer (les sept cieux), la verte, c’est la forêt, digne des esprits de la forêt. Donc c’est à chacune sa spécificité et même en Amérique du sud on parle des sept saintes et des couleurs et j’ai découvert que l’histoire de l’esclavage a amené cette histoire en Afrique et qui s’est diffusée partout dans le monde et ensuite ayant oublié qu’elle est partie de l’Afrique.

Chez les catholiques Portugais et chez les bouddhistes, les sept femmes représentent aussi des saintes avec toujours l’oubli de ses origines africaines.

Femme peintre ne se voit pas beaucoup en Afrique, qu’est-ce que cela vous fait ?

C’est une belle responsabilité, je me sens dans l’obligation de transmettre, de parler de cette mémoire, d’initier les enfants de leur parler de leur patrimoine qui est une très grande richesse, c’est ça aussi le devoir de transmettre, c’est très important, faut pas oublier ce que nous sommes aujourd’hui et c’est nos ancêtres qui ont fait ce que nous sommes aujourd’hui.

D’origine algérienne vivant entre la France et l’Italie, travaillant le plus souvent au Maroc comment gérer tout ça ?

Dés fois, je trouve que c’est beaucoup, en plus je suis une artiste qui fait beaucoup de chose à la fois, je fais des installations, des lectures musicales, je lis des textes, beaucoup de textes, je fais des livres, des lectures musicales, je travaille avec des musiciens et j’avoue être très fatiguée bien que ce soit une chance de pouvoir faire tout ça. Je viens d’une famille de femmes analphabètes mais qui faisaient des tapis, des tissages magnifiques et des poteries. Elles m’ont transmises leur savoir et avant qu’elles ne meurent, je leur ai dit sans vous je ne serai jamais devenue ce que je suis. Et pour moi, c’est aussi de rendre hommage aux femmes africaines.

Lors du forum, « Egalité, discriminations, parité : les notions, les conséquences » la position de la femme a été débattue, que pensez-vous de la position de la femme aujourd’hui dans nos sociétés ?

C’est très important ces questions, et je trouve que les choses évoluent. Moi-même j’ai été surprise qu’il y est eu ces questionnements durant ce forum et il n’y a pas de hasard, moi j’ai travaillé sur les sept femmes ou le thème c’était les sept femmes dans la culture Gnaoua, et c’est des questions vraiment essentielles qu’on pourrait pas se les poser il y’a 30 ans.

Il y’a aussi une nouvelle génération de femmes aussi qui fait que ces questionnements sont devenus nécessaires parce qu’on est cette génération de femme qui a voyagé qui a côtoyé le monde qui assumons notre culture, notre quadruple culture et on est très fier d’être ce qu’on est et de défendre nos origines et notre histoire.

Quels défis voulez relevez en tant que femme d’abord et artiste ensuite ?

Mon défi est dans cette transmission, j’ai sillonné certain pays d’Afrique pour juste transmettre, faire des liens des choses que je peux amener en tant qu’Algérienne ou personne de plusieurs cultures ou des artistes que je connais, de montrer qu’on est une force, c’est vraiment ça mon but. Ce n’est pas quelque de facile parce que la culture dans nos pays n’a pas encore trouvé la place qui lui convient.

 

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue