Rapport sur les hydrocarbures : La déréglementation 2015 remise en question
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- 18 mai 2018 --
- Maroc
La commission d’information parlementaire sur les prix des hydrocarbures a présenté son rapport mardi 15 mai. En 2017, 13 députés avaient été mandatés par le Parlement pour mener cette investigation, suite à des informations parues dans la presse soutenant que le processus de libéralisation des prix dans le secteur des hydrocarbures aurait profité aux opérateurs, au détriment des consommateurs.
Les 13 députés devaient répondre à des questions relatives à la fixation des prix et des conditions de concurrence dans ce secteur libéralisé depuis décembre 2015. Deux ministres ont représenté le gouvernement lors de cette réunion : le ministre de l’Énergie et des mines, Aziz Rabbah, et celui des Affaires générales et de la gouvernance, Lahcen Daoudi. En revanche, aucun opérateur pétrolier n'était là.
Même si le président de la commission, Abdellah Bouanou (PJD), a tenu à préciser que seul le rapport qu’il a présenté ce 15 mai est valable, cela n’a pas empêché la polémique. « Le rapport qui a été présenté est tronqué d’une bonne partie des recommandations et des conclusions faites par la commission, qui a connu d’énormes pressions au fil des mois de la part des différents lobbys. Ils ont même failli enlever la partie analyse », avoue un parlementaire cité par jeune Afrique
Ce qui a changé depuis 2015
Le rapport révèle que l'Etat, après avoir libéralisé le prix du carburant le 1er décembre 2015, a économisé 35 milliards de DH chaque année, auparavant utilisés pour subventionner le carburant, et réorienté cette manne vers les secteurs sociaux et les personnes défavorisées.
Après la discussion parlementaire ce mardi, le président du comité, Abdellah Bouanou, a noté que la différence entre les prix fixés par le gouvernement et les prix actuels est de près de 1 DH par litre. Il a ajouté : "Le marché marocain consomme annuellement quelque 6,5 millions de tonnes de carburant. Ainsi, nous atteignons facilement 7 milliards de DH en un an, de profits supplémentaires". Ces propos ont été sévèrement dénoncés par la députée RNI, membre de la commission, Asmae Aghlalou, qui y a vu de "la lâcheté politique". En effet, dit-elle, "aucun des chiffres cités par Bouanou ne figurent dans le rapport".
Des prix diversement appréciés
Alors que le prix du pétrole brut fluctue largement à l'international, les consommateurs sont irrités par la hausse des prix.
Le rapport explique aussi que les prix,
hors taxes, pratiqués au Maroc depuis la libéralisation sont parmi les plus bas, en comparaison avec les autres pays non producteurs de pétrole. On apprend par ailleurs que la pression fiscale appliquée par l’administration marocaine entre TIC et TVA, et qui entre dans la composition des prix, est la plus faible, soit 42 % pour l’essence et 34,5 % pour le gasoil.
Cela n'a pas empêché Bouanou d'affirmer que certaines entreprises ont triplé leurs bénéfices depuis la libéralisation. "Leurs profits sont passés de 300 millions de DH à 900 millions de DH entre 2015 et 2016 grâce à la libéralisation des prix du carburant".
Sans tenir compte des taxes, le coût du gaz au Maroc se situe à l'extrémité inférieure des pays non producteurs de pétrole. Cependant, les taxes représentent une grande partie du prix, soit environ 34,5% pour le diesel et 42% pour l'essence. Le rapport affirme que le fardeau fiscal est l'un des plus bas du monde.
Afriquia a-t-elle un monopole?
Selon le rapport, il existe 20 compagnies de distribution de gaz dans le royaume, dont trois multinationales opérant à travers des filiales (Libya Oil, Vivo Energy et Total). Onze entreprises importent du pétrole brut directement.
Depuis la libéralisation, le nombre de stations-service dans le pays a augmenté de 12 pour cent. Afriquia compte près de 22% des stations suivies par Vivo Energy (Shell) avec 14% et Total avec 12,5%. Petrom, Ziz, Winxo et Libya Oil suivent avec des parts comprises entre 7,5% et 8,7%.
Le boycott des consommateurs devrait-il inquiéter Afriquia qui possède plus de stations-service que tout autre distributeur ? Une décision du tribunal américain dans l'affaire États-Unis contre Aluminium Co. of America a proclamé que posséder 90% du marché « suffit à constituer un monopole »; il est douteux que 60 ou 64 % suffiraient; et certainement 30 et 33 % ne le peuvent pas.
Mais le rapport déplore aussi l’absence totale de procédures accompagnant cette libéralisation des prix. Ce que préconisent les parlementaires, c’est un système de suivi des mouvements de prix internationaux et de leur impact au niveau interne, et qui pourrait déclencher une intervention, le cas échéant. Pour l’ensemble des députés de la commission parlementaire, l’État doit obligatoirement prendre au sérieux ce secteur qui pèse lourd dans le panier des ménages. Et imposer un plafonnement des prix... comme en 2015
Mouhamet NDIONGUE