Cannes 2018 défend des films africains et des cinéastes dissidents

Cannes 2018 défend des films africains et des cinéastes dissidents

Sans véritable surprise, la liste de la sélection officielle annoncée ce jeudi 12 avril se montre polyglotte, transgénérationnelle, diversifiée et même engagée, avec l’invitation du cinéaste dissident iranien Jafar Panahi et du cinéaste russe Kirill Serebrennikov, actuellement assigné à résidence à Moscou. Le programme du Festival de Cannes 2018 dégage aussi une réelle volonté d’inscrire le continent africain pleinement sur la carte mondiale du cinéma, avec la présence de l’Égyptien A.B. Shawky en compétition et trois autres réalisateurs africains au sein de la prestigieuse section parallèle « Un certain regard » : le Sud-Africain Étienne Kallos, la Franco-Marocaine Meryem Benm’Barek et la Kenyane Wanuri Kahiu.

Rien de moins qu’une plongée dans une colonie de lépreux propose le jeune réalisateur égyptien Abu Bakr Shawky. Une audace humaine et cinématographique récompensée par une entrée en fanfare dans la compétition officielle du plus grand rendez-vous du cinéma au monde. Lors de la présentation du programme, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, a affirmé de vouloir « donner une chance aux jeunes cinéastes ». Yomeddine oscille entre le drame et la comédie et raconte l’histoire d’un Copte lépreux et son apprenti orphelin quittant pour la première fois leur colonie pour traverser l’Égypte en quête de leurs familles.

La Kényane Wanuri Kahiu s’est fait un nom comme réalisatrice de films de science-fiction et de femme engagée dans la Fondation Safe au Kenya, au service de victimes du Sida et de l’excision. A 37 ans, elle fait partie de la sélection officielle de Cannes. Rafiki est une sorte de Roméo et Juliette transposé en Afrique, avec un couple de filles amoureuses, dont les pères s’affrontent dans l’arène politique.

Avec son premier long métrage Die Stropers (Les Moissonneurs), le Sud-Africain Etienne Kallos est programmé également dans « Un certain regard ». Fils de parents grecs, il a fait ses études de cinéma à la New York University (USA). En 2009, il a décroché avec Eersgeborene (Firstborn) le prix du Meilleur court-métrage au Festival de Venise. Tourné en afrikaans, Die Stropers raconte la fin de l’innocence de l’adolescent Jano. La vie tranquille sur la ferme est terminée quand ses parents chrétiens-fondamentalistes s'apprêtent à accueillir un orphelin mystérieux et manipulateur.

Quant à Meryem Benm’Barek, (Photo ci-contre) la Franco-Marocaine raconte dans son premier long-métrage


l’histoire de Sofia. Cette jeune mère célibataire cherche désespérément le père de son enfant pour ne pas se retrouver au ban de la société… Née à Rabat, Benm’Barek vit à Paris et a suivi ses études à l’Institut national supérieur des arts du spectacle à Bruxelles. Sensible à la situation des femmes, elle a attiré l’attention du Festival de Cannes avec son court-métrage Jennah, présélectionné en 2015 à l’Oscar du Meilleur court-métrage. Dans la même année, elle a décroché avec son film le Grand prix au festival de Rhode Island aux États-Unis.  Elle adore John Cassavetes, mais admire aussi la sensibilité d’un Asghar Farhadi qui fera cette année l’ouverture du Festival de Cannes avec Todos lo saben (Everybody Knows/Tout le monde sait), un thriller et son premier film en espagnol.

 Cannes aux côtés des dissidents

Autre cinéaste iranien retenu dans la compétition officielle : Jafar Panahi. Ainsi, le Festival de Cannes renoue avec son engagement pris pour ce cinéaste hors norme depuis 2010, lors de sa condamnation à six ans de prison et l’interdiction de quitter l’Iran. Pour permettre au cinéaste dissident de présenter lui-même Three Faces, un « road movie dans l’Iran aujourd’hui » sur la Croisette, les organisateurs du Festival de Cannes vont envoyer « une lettre de notre part et des autorités françaises pour autoriser Jafar Panahi à quitter le territoire, à présenter son travail et pouvoir rentrer dans son pays », a précisé Thierry Frémaux lors de la conférence de presse. Pour éviter des malentendus, Pierre Lescure, président du Festival, a déclaré : « Il ne faut pas être provocateur. On souhaite que notre ami soit là. Ce qui n'est pas gagné... » Autre cas politique soulevé et invité à Cannes, le metteur en scène et réalisateur russe Kirill Serebrennikov, en lice pour la Palme d’or avec Zimna Wojna et actuellement assigné à résidence à Moscou. Accusé de détournement de subventions publiques, le trublion de la scène russe et directeur artistique du Centre Gogol risque une peine jusqu'à dix ans de prison.

Décidément, 50 ans après Mai-68, le Festival de Cannes ne se contente pas d’inviter et de regarder tranquillement Le Livre d’image de Jean-Luc Godard en compétition, mais ambitionne de rester le lieu du combat cinématographique.

Avec RFI