Formation du gouvernement … Fermeture définitive ou voie de sortie après la rencontre Akhannouch-Lachgar ?

Formation du gouvernement … Fermeture définitive ou voie de sortie après la rencontre Akhannouch-Lachgar ?

Aziz Akhannouch n’a jamais autant mérité son surnom de « bulldozer » que depuis qu’il est à la tête du RNI. Se sachant l’homme pivot de la formation du gouvernement, il vient de se rapprocher d’une manière spectaculaire de l’USFP de Driss Lachgar, à qui il a rendu visite ce mercredi 14 décembre… Que doit  ou pourrait en penser le chef du gouvernement désigné Abdelilah Benkirane ?

Jusque-là, ce dernier avait la possibilité entre deux majorités. L’une est exclusivement Koutla, avec le PPS (12 sièges), l’Istiqlal (46) et l’USFP (20), soit au total, avec les 125 parlementaires du PJD, 202 sièges pour une majorité absolue de 198. Il aurait pu former un gouvernement, un peu juste mais gouvernement Quand même. Mais Benkirane ne semble pas faire une confiance aveugle à Lachgar.

L’autre possibilité de former sa majorité pour le chef du gouvernement est d’accueillir le RNI et ses 37 élus, renforcé par les 19 de l’UC et les 27 du MP, soit 220 élus. Si l’USFP est de la partie, cela fera une majorité solide de 240 députés, avec l’Istiqlal dehors.

Ainsi, Benkirane a le choix entre contracter avec le RNI, ou avec l’USFP, ou avec les deux. Cela lui laisse une possibilité de garder un peu la main encore sur son avenir.

Or, voilà qu’Akhannouch s’est rendu, accompagné de Rachid Talbi Alami et de Nawal el Moutawakkel, au siège de l’USFP, où les trois hommes ont été reçus en grande pompe par le « Politburo » de l’USFP. Rien n’a filtré de cette rencontre, hormis les habituelles « évolutions de la scène politique nationale et la phase en cours », ou « l’exposé des vues de chaque formation », ou encore « la discussion sur le rôle de chacun des deux partis dans la configuration politique actuelle ».

Mais les choses sont plus compliquées et profondes…

1/ Akhannouch, pour couper court aux attaques indirectes du PJD, à travers ses médias, amis et sympathisants, est parti sur les terres socialistes avec le président sortant de la Chambre des représentants (un poste convoité par l’USFPiste Habib el Malki) Rachid Talbi Alami et Nawal el Moutawakkel. L’activisme du président du RNI n’est donc plus une marche solitaire, mais plus institutionnelle, ce qui gênera ses contempteurs qui se voient retirer une flèche à leur arc…

2/ En accueillant avec autant de chaleur et d’amitié les gens du RNI, qui exigent la sortie de l’Istiqlal de la coalition pour y entrer, Driss Lachgar entérine et officialise son conflit latent avec l’Istiqlal de Chabat. On se souvient que le 17 octobre, les deux formations du Mouvement national s’étaient réunies et Lachgar avait annoncé qu’il liait le sort de son parti à celui de l’Istiqlal. Bien des jours ont passé depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts, et aujourd’hui, voilà Lachgar qui se rapproche d’Akhannouch, adversaire annoncé et assumé de Chabat.

La rencontre aurait pu se faire discrètement, sans photos ni communiqué (comme celle qui a eu lieu entre Akhannouch et Benkirane à Marrakech) dûment publiés, mais la médiatisation de cette réunion est révélatrice d’une manœuvre d’Akhannouch et de Lachgar pour isoler encore plus Benkirane, qui se trouve donc, de fait, avec une seule possibilité,


qui a pour nom Akhannouch.

3/ Le fait pour Lachgar d’impliquer les membres de son « Politburo » indique qu’il a l’aval de ses instances, et empêche le PJD et ses amis de crier à l’individualisme aventureux de Lachgar.

4/ Le PAM est quasiment hors-jeu, face à cette activité du RNI qui, après avoir été faiseur ou facilitateur de majorités, devient le pivot de la formation d’un gouvernement, occupant désormais là un rôle qu’il n’avait jamais tenu, et prenant la place de premier opposant du PJD de Benkirane. Ainsi, malgré ses 102 voix, très inaudibles depuis deux mois, le PAM est en stagnation politique, et ne se maintenant à flot que par l’effectif de ses députés…

Aziz Akhannouch a-t-il raison de bloquer les choses comme on l’en  accuse ?

En politique, il n’existe pas de vérité ni de position tranchée… Akhannouch est un homme d’affaires, rompu aux tractations difficiles et aux vastes manœuvres d’encerclement de l’adversaire. Quand il négocie, il le fait en position de force, et se donne les moyens de cette force… et en s’adjoignant l’UC d’abord, puis en se rapprochant du MP ensuite, et enfin avec cette visite à L’USFP, il renforce sa position, isolant de plus en plus Benkirane.

Doit-il réagir comme cela ? Rachid Talbi Alami a répondu à cette question la semaine passée à Dakhla : « C’est le PJD, un parti respectable, qui a la responsabilité de former un gouvernement. C’est donc lui qui doit chercher … ».Benkirane doit alors cesser de considérer que du fait que son parti a eu la première place aux élections, la formation d’un gouvernement est un long fleuve tranquille. Au contraire, c’est un chemin de croix, si l’on ose dire…

Abdelilah Benkirane, depuis hier, semble ne plus avoir d’autre choix que d’accepter les conditions du RNI, qui s’est imposé sur la scène politique, légitimement, fermant toute voie au PJD de crier au complot, comme celui qui aurait eu lieu le 8 octobre quand le PAM se serait réuni avec les autres partis pour former une majorité. Le conditionnel est utilisé car cette réunion, si elle s’est effectivement tenue, n’a été révélée que par Hamid Chabat, un homme à vérité variable…

Si, comme on le pense, RNI et USFP font affaire pour entrer ensemble dans la future majorité, ou rester dehors tous les deux, Benkirane pourra respecter sa parole donnée à Chabat, et l’emmener avec lui au gouvernement. Cela ne changera plus rien car, en effet, si RNI, UC, USFP et éventuellement le MP font bloc et adhèrent à la majorité, en cas de désaccord ultérieur, ils quitteraient ensemble le gouvernement et Benkirane sera en minorité, même avec l’Istiqlal. Et il ne pourra plus se rabattre sur le Plan B qu’est l’USFP.

Aussi, il est bien possible que cette rencontre surprise et inattendue entre RNI et USFP soit, enfin, la voie tracée vers la formation du gouvernement. Benkirane et le PJD le conduiront, mais Akhannouch et ses amis du RNI et d’ailleurs auront la force d’imposer leurs vues.

On pourrait s’attendre à une prochaine levée de boucliers, toujours indirecte, du PJD, mais ainsi sont les élections et leurs résultats. Quand on ne dispose pas d’une majorité absolue, on compose. Ou on s’en va…

Aziz Boucetta