Comment lire la visite de Laurent Fabius au Maroc

Comment lire la visite de Laurent Fabius au Maroc

Relance, renforcement et renouvellement, voici quels ont été les trois mots que Laurent Fabius a mis en avant pour définir la réconciliation entre Rabat et Paris, brouillés depuis un an suite à une fâcheuse série d’impairs diplomatiques, à l’indifférence un peu coupable des Français, et à la fureur même pas retenue des Marocains. Le début du réchauffement avait été enclenché par François Hollande recevant Mohammad VI en son palais de l’Elysée, puis par les rencontres entre ministres de la Justice, puis de l’Intérieur et enfin des Affaires étrangères, en attendant celle du premier ministre Valls.

Une reprise des relations soigneusement calibrée

Le protocole, l’équilibre et la préséance ont été soigneusement calculés, pour préserver des susceptibilités encore très fortes de part et d’autre. D’abord, la rencontre des deux ministres de la Justice Christiane Taubira et Mustapha Ramid, dont les entretiens ont nécessité plus de 48 heures  (29-31 janvier) pour aboutir à un accord sur la reprise de la coopération judiciaire, versant dans le sens d’un équilibre entre les deux systèmes, l’un ne pouvant connaître d’une affaire concernant un justiciable de l’autre qu’après saisine de la justice du pays du (de la) concerné(e).

Ensuite, 10 jours plus tard, le 9 février, le président de la République a fait savoir qu’il était « disposé à recevoir le roi du Maroc si celui-ci en exprimait le souhait ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites…  Mohammed VI avait dit oui, et François Hollande lui avait réservé les honneurs de la République, bien que le souverain fût en visite privée en France. Les deux chefs d’Etat conviennent alors du communiqué suivant : « Au cours de leur entretien, les deux chefs d’Etat ont abordé l’ensemble des questions régionales et internationales. Ils ont souligné la pleine vigueur du partenariat d’exception qui lie le Maroc et la France. Ils se sont félicités de l’accord bilatéral du 31 janvier qui crée les conditions d’une coopération judiciaire plus efficace entre les deux pays. Le Président de la République et Sa Majesté le Roi Mohammed VI ont également souligné la détermination de la France et du Maroc à lutter ensemble contre le terrorisme et à coopérer pleinement dans le domaine de la sécurité. Dans cet esprit, un programme intense de visites ministérielles permettra de préparer la prochaine Réunion de Haut Niveau entre les deux gouvernements ».

Nous en sommes à deux rencontres tenues sur le territoire français…

5 jours plus tard, le ministre de l’Intérieur français Bernard Cazeneuve est dans nos murs. Il rencontre son homologue Mohamed Hassad, et les deux « premiers flics » en leurs pays respectifs  annoncent tout un train de mesures, faisant rivalité d’amabilités ; mais on retiendra de cette visite la prochaine décoration de la Légion d’Honneur d’Abdellatif Hammouchi, l’homme par qui la brouille était arrivée, à son corps défendant d’ailleurs.

Score : 2-1…

Hier, le patron du Quai d’Orsay, Laurent Fabius, considéré comme un des « faucons » de cette brouille franco-marocaine, arrive à Rabat, rencontre son homologue Salaheddine Mezouar, est reçu par le roi, rit beaucoup avec le chef du gouvernement Benkirane et déclare les trois mots qui doivent en principe sceller la nouvelle (et néanmoins fort ancienne) amitié : relance (des relations en tout), renforcement (de la collaboration partout) et renouvellement (de la confiance surtout). Le ministre français a également informé de l’invitation de Mohammed VI par Hollande pour une visite officielle en France.

2-2… On attend la visite de Manuel Valls sous nos cieux le 10 avril, mais on ne tient plus le score maintenant.

Que faut-il attendre de la relance/renforcement/renouvellement


exprimés par Fabius à Rabat ?

Chacune des deux parties a son idée derrière la tête… La France souhaite plus que tout aujourd’hui retrouver les faveurs de Rabat pour sa lutte contre le terrorisme, après avoir été secouée par les massacres de Paris les 7-8-9 janvier derniers ; mais Paris aspire également à une coopération économique, tant nationale que continentale.

En effet, Paris souhaite avancer ses pions encore plus qu’ils ne le sont déjà dans les domaines des transports, des énergies renouvelables, de la ville durable et du tourisme. En ces temps de disette économique et de concurrence espagnole, turque et asiatique au Maroc, la France tient à trouver plus de marchés pour ses entreprises sur nos terres. Il faut dire que cette dernière année, les entreprises françaises ont le vent en proue, au Maroc… Vivendi s’est désengagée de cette « machine qui crache le cash » qu’est Maroc Telecom. Elle en a retiré beaucoup d’argent certes, mais la manne est tarie. Lydec, filiale de la Lyonnaise des eaux, prend eau à Casablanca, Alstom  a quitté le tram de Casa et risque (risquait ?) de ne pas enlever les marchés des trams à venir dans d’autres villes, Royal Air Maroc a pris livraison d’un Boeing 787 et n’exploite pas d’Airbus…

En Afrique subsaharienne, la dernière offensive marocaine – conduite par le roi Mohammed VI en personne – a de quoi inquiéter la France, en perte de vitesse de marque et d’image dans ses anciennes colonies, essentiellement Guinée, Côte d’Ivoire, Mali et Gabon, sans compter le Niger et la Centrafrique. Au Gabon, par exemple, un partenariat devrait être consolidé entre Total et le groupe OCP pour le gaz et l’environnement.

Mais au-delà de tout cela, qui reste certes important, Paris ne perd pas de vue ses intérêts sécuritaires. Ses ressortissants sont pris pour cible au Mali, son territoire est menacé par le péril djihadiste de Daech qui vient de lancer une menace explicite contre la France, en France… Et le Maroc dispose de services de sécurité dont l’efficacité est reconnue ici, ailleurs et partout.

Rabat, pour sa part, ne peut que se montrer satisfait de cette réconciliation car, bien qu’on en dise, la France tient une place particulière sur l’échiquier politique, économique et même social, linguistique, au Maroc. L’écrasante majorité des administrations fonctionne en français, nos étudiants vont vers la France en premier, les banques sont en grande partie filiales de groupes français et les entreprises travaillent avec leurs homologues françaises… et puis nous avons 1,3 million de Marocains qui résident en France, et quelque 70.000 Francais ont élu domicile au Maroc.

De plus, le soutien de la France aux Nations-Unies n’a jamais fait défaut au Maroc, dans les (rares) heures sombres mais aussi habituellement ; ces dernières années, Rabat a dû affronter une étrange et subite agressivité consistant à lui imposer une extension du mandat de la Minurso aux questions des droits de l’Homme. Le Maroc refuse, ce qui est bien compréhensible, et la France le soutient et persiste à clamer et proclamer son soutien au plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007.

Ainsi donc, en un mot comme en cent, et comme n’a cessé de le dire Laurent Fabius, par politesse et délicatesse diplomatique, et comme il l’a répété hier avec (un peu) plus de conviction, ce réchauffement des relations entre les deux pays les remettra à « un niveau où elles n’auraient jamais dû cesser d’être ». Et ce n’est pas le Maroc qui dira le contraire, il faut le reconnaître.

AAB