Cette étrange campagne contre Benkirane, à travers sa fille…
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- 01 juillet 2016 --
- Maroc
Soumaya Benkirane est la fille de son père Abdelilah. Ce n’est absolument pas un mal. Elle vient d’obtenir un emploi au sein de la fonction publique ? Est-ce un mal ? Non, elle est marocaine et a droit, elle aussi, de travailler dans le secteur public, même si son géniteur en est le chef. Alors, pourquoi cette campagne contre elle et son père ? Indigne, digne d’un autre âge.
On peut aimer Benkirane ou pas, on peut le soutenir, ou pas, on peut le combattre, même férocement, souvent à raison et pour diverses raisons qui ont trait à la politique, sa politique, et son idéologie depuis quelques mois boursouflée. On peut lui reprocher aussi de ne pas tirer profit de sa popularité et de son charisme pour tirer notre société conservatrice vers le haut, caressant les instincts négatifs des populations et favorisant des réactions encore plus négatives. Les exemples de cela sont légion, et il ne s’en défend même pas. On peut lui reprocher de verser dans l’invective, quelquefois et même souvent vulgaire, contre ses adversaires, et à leur tête celui qu’il tient comme son ennemi personnel Ilyas el Omari (qui lui, n’insulte jamais). On peut lui reprocher de croire désormais en lui, après avoir cru en Dieu, et d’en avoir oublié les enseignements d’humilité, malgré les postures simples qu’il affectionne particulièrement… On peut lui reprocher, en termes de népotisme et /ou de favoritisme et même de clientélisme, de fermer les yeux sur cette pratique qui connaît une certaine fortune au sein même de sa propre majorité… On peut donc l’attaquer sur lui, ses idées, ses attitudes et ses sorties enflammées, distillées au compte-goutte ici et assénées à grands coups de gourdin là… Mais on ne peut l’attaquer à travers sa famille.
Car la famille relève, en effet, de la vie privée et la vie privée est sacrée. Un principe qui, malheureusement, n’est pas celui de beaucoup de gens, qui délaissent la confrontation politique par le haut en portant des coups bas.
Qu’en est-il de cette affaire ? Les faits. Soumaya Benkirane est la fille d’Abdelilah Benkirane. Mariée et mère de trois enfants, elle est titulaire de deux masters, un en droit et un autre en études islamiques ; elle est inscrite en doctorat de droit. Cela fait six ans qu’elle est à la recherche d’un emploi, alors que son père occupe une fonction intéressante et quelque peu importante depuis près de 5 ans, et elle a passé moult concours, n'ayant été retenue dans aucun d’eux. La chance lui a souri, le 12 juin, pour celui du Secrétariat général du gouvernement, où elle travaillera donc désormais au grade d'administrateur 2ème classe, pour un salaire de 7.000 DH net (on peut s’interroger d’ailleurs sur ce salaire versé aux fonctionnaires doublement mastérisés, mais c’est là un tout autre sujet).
Les « accusations ». Soumaya Benkirane aurait, donc, été recrutée, en un temps relativement court pour ce genre de concours, suite à un entretien qu’elle aurait eu avec des fonctionnaires proches de son père. Elle ne répondrait pas aux conditions académiques et à l’âge minimum requis. Elle aurait donc été « portée » par son père. Or tout cela est faux parce que
la candidate remplissait les conditions, autant l’âge (45 ans maximum) que le diplôme.
Mais si elle a été admise suite à un concours, et à supposer même qu’elle ne satisfasse pas aux conditions, la responsabilité en incomberait alors à l’administration organisatrice du concours. Et si Abdelilah Benkirane, dont on connaît le sens politique, voire la rouerie, avait voulu « pistonner » sa fille comme on l’en accuse, il l’aurait fait bien avant, sans commettre l’imprudence de s’engager « à la 90ème minute de son mandat », comme l’a suavement indiqué un quotidien arabophone.
Et pour dire les choses clairement, après les attaques hier contre Mezouar qui aurait donné un coup de main à sa fille pour travailler en France, profitant de son poste de chef de la diplomatie, et les accusations aujourd’hui contre Benkirane, il serait honnête de s’interroger, quand bien même ce qui est reproché à Benkirane et à son ministre serait vrai… Quel père au monde (et le Maroc fait partie du monde), en situation d’aider sa progéniture, ne le ferait-il pas ? Où serait le mal ? Que ceux qui monteraient sur leurs grands chevaux, en poussant des cries d‘orfraie, se questionnent… ne l’auraient-ils pas fait, eux ? Auraient-ils accepté ce genre d’attaques après l’avoir fait ? Peut-on changer la nature humaine qui veut qu’un père, qu’une mère, aide son fils, sa fille, par les moyens en sa disposition ?
Ce qui serait répréhensible en revanche aurait été de faire éviter un concours à sa progéniture ou de l’imposer à une fonction alors même qu’elle n’en a ni les qualifications ni les compétences. Ce qui est répréhensible est de monter cette affaire en brèche et d’oublier des faits similaires commis par d’autres. Ce qui est dangereux est de s'oublier dans cette pré-campagne électorale et d'oublier les principes fondamentaux de la société marocaine (et même des autres sociétés,d' ailleurs), en l'occurrence le respect de la vie privée et de la famille des adversaires, une ligne rouge qu'il ne faut jamais franchir mais que, dans cette affaire, on a piétiné. Un adage de chez nous dit que "l'hostilité est là, mais dans la courtoisie" ("le3daoua tabta ou souab ikoune" en VO).
Soumaya Benkirane a moins de trente ans, elle a obtenu le diplôme exigé pour se présenter à ce concours. Elle l’a réussi, et a été recrutée. Elle est, jusqu’à preuve du contraire, en possession de ses facultés, et de la nationalité marocaine. Pourquoi aller chercher les arguments électoraux dans la poubelle de la politique ?
On observe depuis quelques mois une descente vertigineuse du niveau intellectuel du débat public, et Benkirane n’y est pas étranger, et en est même l’un des principaux responsables. Il attaque, il insulte, il calomnie, il vilipende, il dit pis que pendre de tous ses adversaires, sans jamais les citer. Ses porte-flingues au gouvernement comme Najib Boulif, ou en dehors comme Mohamed Yatim, ne font pas dans la demi-mesure. Et ce débat sera source d’une désaffection encore plus sévère des populations. Ce n’est semble-t-il pas l’objet de la classe politique, et ce n’est certainement pas dans l’intérêt de la politique, donc du pays tout entier.
Aziz Boucetta
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