(Reportage) - Voyage au cœur des forces d’intervention de la police

(Reportage) - Voyage au cœur des forces d’intervention de la police

Le Rif bouillonne, les manifestations se poursuivent et se ressemblent, et les forces de l’ordre font leur travail de maintien de l’ordre, sur le pont et à la manœuvre. En dépit de quelques bavures relevées ici et là, force est de constater que ces éléments des brigades d’intervention, tous corps confondus, ont su gérer les manifestations, sans verser dans la violence, malgré quelques bavures. Qui sont ces forces de l’ordre et comment agissent-elles ? Comment sont-elles organisées et quelle est le niveau de leur formation psychologique ? Réponses.

Ces groupes d’intervention, que nous voyons depuis quelques années, harnachées et suréquipées, reçoivent une formation très pointue, qui les conduit à savoir affronter une foule en colère, qui s’en prend souvent à eux. Ces groupes sont désignés, au sein de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), « corps constitués ». Ce sont eux qui  sont en charge de la dispersion des manifestations et autres sit-in, et qui sont en pointe de ce qu‘on appelle en termes juridiques « l’usage légitime de la force ».

Selon des gradés de la police que PanoraPost a contactés et qui ont accepté de répondre à nos questions, « nous ne sommes pas une armée, et les manifestants ne sont pas nos ennemis. Il s’agit simplement d’une foule qui proteste, et notre objectif n’est pas de les encercler, mais de les disperser avec l’usage minimum de la force ». Il s’agit dès lors, une fois que la décision d’intervenir est prise, de leur permettre de partir, et « la technique employée est alors d’aller vers eux, en leur aménageant des « fenêtres » dans les rues pour les conduire à se séparer ».

« Les courses-poursuites dans les avenues et rues des villes, considérées par les médias et les observateurs comme un début d’insurrection, sont en fait une technique de dispersion des foules », explique le responsable de la police. En effet, l’article 2 du statut de la DGSN dispose que le rôle de ces Corps constitués est « le maintien de l’ordre public et la protection des biens et des personnes ». De cet article découle la doctrine générale de la police qui est « la dispersion et la dissuasion », sans violence et dans le respect des lois.

Qui sont ces Corps constitués ?

Ils relèvent de la Direction de la Sécurité publique (DSP), qui fait l’objet de l’article 4 du Statut de la DGSN : la préservation de l’ordre et de la paix publique et la sécurité routière. Dans l’organigramme de la police, la DSP se décline comme suit :

 

Les Corps constitués au sein de la DGSN sont au nombre de 11.315 éléments très exactement, disséminés sur tout le territoire national, la plupart étant stationnés en régions et dans les préfectures, et une partie étant cantonnée dans des casernes au niveau central.

1/ Les GMMO, ou Groupements mobiles de maintien de l’ordre.

Ils sont 3.090 éléments, dépendant de la DSP au niveau central et leur déploiement pour interventions est décidé par le Directeur de la sécurité publique. Ils sont divisés en 11 compagnies réparties sur autant de villes principales du royaume.

Ces GMMO sont organisés de manière à disposer d’une grande mobilité, avec leur logistique propre, et d’une flexibilité qui leur confère une polyvalence dans plusieurs domaines relevant du maintien de l’ordre public, comme leur nom l’indique : sécurité routière, intervention active et/ou passive lors de manifestations populaires, assistance aux autres corps d’Etat à la survenue de catastrophes naturelles, présence au sein du dispositif Hadar (dissuasion et défense antiterroriste)…

2/ Les GIR, ou groupes d’intervention rapide.

Ils sont 4.745 éléments, anciennement connus sous le nom de CMI, ou compagnies mobiles d’intervention, les fameux « Simi ». Créés en 2005, ils sont rattachés aux différents préfets de police en régions, et sont organisés en 31 compagnies mobiles, flexibles, polyvalentes et structurées en compagnies de quelque 150 à 250 éléments chacune, en fonction de la taille des villes.

Une fois déployés, les GIR sont sur tous les fronts, de la sécurité à la patrouille et plus généralement dans des activités de maintien de l’ordre public décidées en régions, avec bien évidemment l’aval de la DGSN.

3/ Les CAE, ou Compagnies antiémeutes.

Avec un effectif de 721 éléments sur 5 groupements, ils sont dégagés des missions ordinaires de maintien de l’ordre. Ces compagnies ont vocation exclusive à l’intervention directe. Pour cela, ils reçoivent une formation physique et mentale appropriée, avec maniement des armes, entraînement aux arts martiaux, et avec des séances quotidiennes dans leurs casernes, par temps calme.

Leurs interventions sont assurées en renfort des GMMO, en cas de besoin si les manifestants requièrent une force spécialisée pour leur dispersion.

4/ Les GMS 99, ou Groupements mobiles de sécurité.

Relevant du niveau central, ils sont chargés de la gestion des grands événements et interviennent en renfort des GMMO, sur décision de la direction centrale de la DGSN et de la DSP. Ils sont groupés en 10 compagnies à l’échelle nationale.

A l’instar des GIR, ils sont parfaitement polyvalents, leurs formations leur permettant d’intervenir dans toutes sortes de missions, sécurité routière, intervention directe contre des délinquants, gestion des foules. Une fois sur le terrain, ils sont divisés en pelotons distincts reliés au commandement de leurs unités.

5/ Les compagnies de cavalerie

Relevant de la DSP, ils n’appartiennent pas à proprement parler aux Corps constitués. Leur...

mission est de d’assurer une présence et éventuellement des interventions lors de manifestations sportives, d’événements culturels comme les festivals organisés un peu partout sur le territoire, de grandes occasions nationales, à l’image de la COP22 où les policiers montés étaient bien visibles.

Leurs interventions sont plutôt rares, et leur équipement protège tout aussi bien le cavalier que sa monture, dotée elle aussi d’un casque avec visière de protection, protection des pattes… Impressionnants, ils sont terriblement dissuasifs et leur simple vue, quand les chevaux dressés piétinent le sol avec leurs pattes, suffit à disperser d’éventuels manifestants ou perturbateurs de toutes natures.

Organisation et fonctionnement des Corps constitués

Ces Corps constitués sont stationnés dans des casernes présentant tous les équipements nécessaires pour ne pas dépendre de l’extérieur : dortoirs et réfectoires, infirmeries, aires d’entraînements… Leurs uniformes noirs  et leurs moyens de transport bleu foncé sont distincts de ceux des autres services de la DGSN, et ils portent sur le bras des écussons indiquant le corps auquel ils appartiennent (GMMO, GIR…). Sur la poitrine, les éléments des Corps constitués portent nom et matricule pour les officiers, le matricule seulement pour les sous-officiers et hommes du rang.

Les hommes des Corps constitués étant chargés du maintien de l’ordre et, le cas échéant, de l’intervention directe contre des manifestants, disposent de tenues spéciales avec tous les accessoires de protection, ainsi qu’on les voit sur les images : casques avec visières, des protections pour la nuque et les articulations ; leurs gants sont équipés de fils d’acier qui les rendent résistants aux lames des armes blanches, qui leur permettent de se laisser glisser le long de cordes et de fils d’acier en cas d’intervention…

Leurs véhicules sont blindés et de conception marocaine (bien que fabriqués ailleurs), adaptés aux différentes formes de manifestations (photo ci-contre). Tous ces véhicules sont dotés de caméras pour fixer les interventions de leurs occupants et établir le respect des règles d’engagement.

Les hommes (et femmes) des Corps constitués reçoivent régulièrement des sessions de formation, tant physiques que psychologiques, extrêmement pointues. Ces sessions sont organisés quand les éléments sont stationnés et donc non engagés ; en 2016 par exemple, 1.063 opérations d’interventions et de missions ont été assurés par les Corps constitués (maintien de l’ordre et événements sportifs). Et  entre les GMMO et les GMS, ce sont près de 4.500 éléments qui ont bénéficié de séances de formation l’année dernière.

La formation continue.

La direction de la police a mis l’accent sur plusieurs phases d’instruction, comprenant dans l’ordre : L’éducation physique, la  self-défense, l’ordre serré, les règles de sécurité, l’armement, les techniques et procédés du maintien de l’ordre, les missions de police, le règlement des gardiens de la paix et, enfin, surtout, les libertés publiques et droits de l’Homme, en pus de la déontologie policière.

La formation psychologique.

Sur les images en provenance d’Imzouren, on voit des éléments des Corps constitués dissimulés derrière leurs boucliers, en phalanges, et recevant des pluies de pierres et des insultes en boucle, sans réagir, parfaitement stoïques. Certains rendent les pierres à leurs expéditeurs, ce qui fait désordre, mais cela est à mettre sur le compte de bavures isolées.

Il faut savoir que ces éléments sont tous titulaires de leur baccalauréat, si ce n’est plus, et reçoivent une très solide formation psychologique dispensée par des professionnels, eux-mêmes soutenus par des gradés de la police blanchis sous le harnais, ayant eu à gérer des foules et des manifestants faisant montre de plus ou moins de violence. Une fois leur formation théorique de gestion des foules reçue, les nouveaux éléments des Corps constitués passent à la pratique, sont envoyés en mission avec les « anciens », et sont confrontés aux situations réelles à l’issue desquelles des évaluations sont effectuées ?

Que leur apprend-on lors de ces sessions de formation psychologique ? Le contrôle de soi, l’art d’éviter les provocations, l’obligation de réserve (ne pas « copiner » avec les gens et rester stoïques). On leur inculque avant et par-dessus tout la doctrine de la police nationale : éviter la provocation et assurer l’ordre public.

Dans le cadre de leurs missions en extérieur et en situation réelle, les éléments des Corps constitués sont relevés à intervalles courts et réguliers, un roulement étant assuré au niveau de leurs commandements respectifs, afin de ne pas laisser les agents saturer ou perdre leur contrôle sur soi.

 

On a vu des images d’émeutes dans certaines régions du Maroc où quelques agents, visiblement énervés, sont ramenés en arrière par leurs officiers et immédiatement remplacés par d’autres. C’est pour cela que, régulièrement, les bilans d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants font état de blessés parmi les Corps constitués et rarement parmi les manifestants.

La doctrine de la police conjuguée à la solide formation juridique des hauts responsables de la police et de la venue d’Abdellatif Hammouchi à la tête de la DGSN sont autant d’éléments qui ont concouru à placer les forces de l’ordre et d’intervention aux normes universelles de respect de l’ordre et des droits, simultanément. Les dépassements enregistrés ça et là sont sanctionnés, sans que l’opinion publique et les médias en soient forcément informés.

Une fois l’ordre établi et la sécurité publique assurée, le reste appartient aux politiques, qui ont en charge la résolution en amont ou en aval des motifs de contestation. Mais cela est une autre affaire, qui ne dépend pas de la DGSN.

Aziz Boucetta

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