Gestion déléguée : le Conseil économique et social présente son rapport

Gestion déléguée : le Conseil économique et social présente son rapport

Le président de la Chambre des représentants avait saisi, le 15 avril 2015, le Conseil économique, social et environnemental pour la réalisation d’une étude sur la gestion déléguée. Prémonition de Rachid Talbi Alami ? Il n’en demeure pas moins que cette requête avait été adressée au CESE quelques mois seulement avant la levée de boucliers contre Amendis à Tanger et dans les villes du nord. Le rapport présenté par Nizar Baraka établit un diagnostic précis.

Définition

Contrairement à la gestion directe, au partenariat public-privé ou la gestion en régie directe gérée de manière autonome, la gestion déléguée se définit comme « une délégation par la collectivité à un opérateur public ou privé des missions globales de gestion d’un ouvrage ou d’un service public. Les missions sont ou combinent : la conception, la construction, la réhabilitation, l’exploitation, l’entretien, la maintenance et le financement. La collectivité reste propriétaire des équipements ».

Les chiffres clés

Le CESE révèle les chiffres clés de la gestion déléguée dans les secteurs concernés.

1/ Distribution d’eau et d’électricité. « La gestion déléguée des services de la distribution d’électricité et d’eau et de l’assainissement liquide est assurée par les quatre délégataires privés dans 46 centres (13 communes pour REDAL, 11 pour LYDEC, 8 pour AMENDIS Tanger, 14 pour AMENDIS Tétouan) et par l’ONEE dans 612 centres.

Les délégataires ont apporté des capitaux propres de 2 000 MDH. Ils ont réalisé des investissements de l’ordre de 32.321 MDH depuis le début des contrats jusqu’en 2013 et un chiffre d’affaires de 10.822 MDH en 2013 (soit le tiers du chiffre d’affaires de distribution total de l’eau et le quart de celui de l’électricité).

Ils emploient un effectif de 7 270 cadres et agents dont 4 965 repris des ex-régies intercommunales autonomes de distribution ».

2/ Transport public urbain. « Le nombre de contrats de gestion déléguée pour le transport urbain par autobus, en cours d’exécution, est de 40 dont 17 conclus depuis 2006, couvrant 260 communes. Les sociétés délégataires dans le secteur ont réalisé un chiffre d’affaires de 1.790 MDH et employé un effectif de 12.950 personnes en 2013. Elles se sont engagées à réaliser des investissements de 5.680 MDH depuis le début du contrat de gestion déléguée jusqu’en 2013 ».

3/ Service de collecte et de nettoiement. « En 2013, la gestion déléguée du service de collecte et de nettoiement a concerné 147 communes contre 109 en 2012. Le nombre de contrats est passé de 33 avant 2006 à 101 contrats en 2013. La gestion déléguée est assurée par 15 délégataires avec un chiffre d’affaires de 2 218 MDH, en employant un effectif de personnel de l’ordre de 15 000 en 2013. Les investissements réalisés s’élèvent à 3 033 MDH depuis le début des contrats de gestion déléguée jusqu’en 2013. Environ 74 % de la population urbaine sont desservis par des sociétés privées, soit près de 13,5 millions de personnes en 2013 contre 8,5 millions en 2006 ».

4/ Décharges publiques. « En 2013, la gestion déléguée des décharges publiques contrôlées a concerné 66 communes dont 58 ont conclu des contrats postérieurement à la mise en vigueur de la loi n° 54-05. Le nombre de contrats actuellement en vigueur s’élève à 15 dont 5 passés avant 2006. La gestion déléguée de ce service est assurée par 12 délégataires avec un chiffre d’affaires de 268 MDH employant un effectif titulaire de 150 en 2013, auquel s’ajoutent de nombreux emplois directs et indirects. Les investissements réalisés s’élèvent à 1 184 MDH depuis le début des contrats de gestion déléguée jusqu’en 2013. La...

population desservie par les sociétés privées est de plus de 11 millions de personnes en 2013 contre 2,9 millions en 2006 ».

Remarques du CESE sur la gestion déléguée

Il semblerait que la forte urbanisation qu’a connue le Maroc ait quelque peu bouleversé les prévisions en matière d’équipements collectifs et services publics de base.  La base de détermination de ces investissements a donc dû changer, mais les infrastructures ont été réalisées.

Cela étant, il a été constaté un non-respect des délégataires de leurs engagements et dans l’exécution de leurs contrats. En effet, précise le rapport du CESE, « les délégataires ne respectent pas systématiquement leurs engagements en termes d’investissement, au même titre qu’ils ne respectent pas totalement leurs obligations de rendre un service public de qualité aux usagers, comme le stipule en priorité les contrats signés ».

La gestion du fonds de travaux n’a pas été à son tour conforme aux prescriptions des cahiers des charges, dans le sens où « les participations collectées par les délégataires ne sont pas toujours versées intégralement au fonds et les versements sont souvent réalisés avec des retards par rapport aux délais contractuels. Les délégataires ne reversent pas, dans le fonds, certaines recettes collectées  revenant à l’autorité délégante (frais de participation, provisions de retraite, etc.) et la rémunération du délégant se trouve, par voie de conséquence, minorée du fait du versement partiel, par le délégataire, des produits de placement des excédents de trésorerie prévus dans les contrats ».

Les manquements des délégants à leurs obligations de contrôle

Le CESE épingle plusieurs tares dans les missions de contôle des missions des délégataires :

1/ Le conflit d’intérêt, à travers la  « filialisation et d’intégration verticale de certaines activités par les sociétés délégataires qui recourent à une sous-traitance assurée par des entreprises qui leurs appartiennent ».

2/ Le manque de rigueur dans le contrôle des informations, étant entendu, dit le CESE, que « les décisions prises s’appuient généralement sur les données produites par les délégataires sans s’assurer forcément de leur fiabilité, qu’il s’agisse des investissements, des budgets ou encore des révisions et ajustements tarifaires ».

3/ la dépendance des contrôles à l’égard du délégataire. C’est ce qui est le plus grave, à savoir que les agents chargés du contrôle de l’exécution des missions des délégataires dépendent de ces derniers : « (le délégataire) assure la gestion de la carrière des membres du service de contrôle et décide des ressources humaines qui lui sont affectées en termes d’effectifs et de moyens. Aussi, le délégant n’exerce pas de contrôles sur place. Il se contente de vérifications sur pièces sur la base de l’information transmise par le délégataire ».

4/ La mauvaise foi des délégataires qui « contestent fréquemment les constats et avis formulés par les auditeurs externes, rendant inapplicables les recommandations qui en découlent. Dans la pratique, les deux parties contractantes recourent à une commission ad hoc en vue de traiter les résultats des « audits contestés », donnant lieu à de longues négociations sans suite certaine ».

5/ L’absence d’information et de sensibilisation de l’opinion publique.

6/ Le manque de planification et l’insuffisance de l’expression des besoins par les délégants.

 

Le CESE ne manque donc pas de relever que l’actualité et la médiatisation des problèmes de gestion déléguée n’aura pas manqué d’instaurer un climat délétère et un manque de confiance entre délégataires et opinion publique. Cela s’est passé d’abord à Casablanca et à Marrakech, puis plus récemment à Tanger. Le CESE apporte donc toute une série de recommandations pour pallier aux insuffisances et corriger les manquements à l'exécution de leurs missions par les délégataires et de leurs contrôles par les délégants.

 

 

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