Grogne et vent de fronde chez les parents d’élèves de la Mission française AEFE

Grogne et vent de fronde chez les parents d’élèves de la Mission française AEFE

Ce qui devait arriver, finalement, arriva… Les parents d’élèves de la mission française de l’AEFE (Agence pour l'enseignement français à l'étranger), réunis au sein de plusieurs associations, ont finalement décidé de s’unifier et de parler d’une même voix. Et la voix est rude. Les parents contestent aussi bien l’augmentation des frais de scolarité et leur (partiel) usage dans d’autres pays, que la détérioration de la qualité de l’enseignement dans ces établissements. Explications.

Les écoles, collèges et lycées français au Maroc sont regroupés dans deux organismes, l’AEFE, public, et l’OSUI (Office scolaire et universitaire international), privé. Les frais de scolarité sont de notoriété publique moins élevés chez le premier que dans le second. Or, depuis quelques années, la flambée de ces frais met les deux organismes presqu’à égalité, avec une qualité d’enseignement bien inégale, à l’avantage de l’OSUI.

C’est entre autres cela qui a conduit les associations à se rapprocher, et à former un groupement formé des organismes suivants : Association des parents d’élèves de Kenitra GSU Honoré de Balzac (APEK),  association des parents indépendants (API), association nationale collectifs autonomes de parents d’élèves (CAPE Maroc), association des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) et association nationale union des conseils de parents d’élèves (UCPE).

Au sein de l’AEFE, l’explication apportée pour justifier le relèvement continu des frais de scolarité est l’équilibre financier des différents pôles d’enseignement. Les charges vont vers les infrastructures (construction, aménagement et maintenance), le matériel et le corps pédagogique, enseignant et/ou administratif. L’AEFE effectue ce qu’on peut appeler une péréquation entre les différents lycées du pays. Sur les 135 pays où l’Agence est présente, le Maroc est celui qui compte le plus d’établissements, une trentaine, dont l’emblématique lycée Lyautey de Casablanca, le plus grand établissement français hors de France.

1/ Représentativité et action des parents d’élèves

Bien évidemment, démocratie représentative oblige, la gestion des établissements se fait en coordination et collaboration  avec les associations.

Les parents ne sont pas « associés » dans la gestion, mais uniquement impliqués, selon la règlementation française de l’éducation nationale, dans des rôles consultatifs et de veille à la bonne application des textes dans les instances de gestion. Cependant, au Maroc, les associations ont été amenées à sortir de ce cadre, pour également couvrir des offres en activités périscolaires et services aux parents (cantine, garderie,…), rôles dédiés initialement en France aux mairies…

Toutefois, les parents disent, redisent et affirment qu’ils ne sont là qu’en qualité d’observateurs, une sorte d’officine d’enregistrement de décisions prises plus haut, en France, et non sujettes à discussion. Tout juste applicables…

Voici quelques années, il avait fallu passer par la justice marocaine pour faire reconnaître le droit d’une APE à exister et à agir dans le sens de ses statuts.

Un exemple de l’impuissance – ou du manque de considération – des APE… Un courrier a été adressé à la direction de l’AEFE pour contester l’augmentation non concertée des frais de scolarité en septembre dernier. Les frais de scolarité ont bien été appliqués, et le courrier de l’APE n’a jamais reçu de réponse. Un rappel a été envoyé plus tard, mais a connu le même sort, c’est-à-dire le silence.

2/ Le problème des frais de scolarité

Les frais de scolarité, on s’en doute, servent à équilibrer les budgets des établissements. Les parents expliquent que dans la structure des ressources des organismes AEFE, les trois quarts des ressources proviennent des frais de scolarité, donc des parents, alors que l’Etat français n’assure que le quart. Mais selon l’ambassade de France, contactée par PanoraPost, l’Etat français finance 50% de l’activité de la mission française, avec quelque 40 millions d’euros par an. Si cela n’avait pas été le cas, précise l’ambassade, les frais de scolarité seraient majorés de 2.450 euros/an/élève.

Ainsi, et toujours selon les responsables de l’ambassade, si un effort d’investissement est nécessaire dans d’autres lycées, dans d’autres pays, dans d’autres continents, il est réalisé sur les prélèvements effectués ici et là dans les différents pays. Le Maroc peut donc, tantôt, contribuer à ces investissements en dehors de son territoire, mais l’inverse est aussi vrai, quand le Maroc profite d’une manne financière venue de l’extérieur, précise encore notre interlocuteur à l’ambassade.

Toutefois, pour les parents, il en va autrement.

Depuis 2013, une augmentation sur trois ans,  de 1.500 DH avait été appliquée à chaque rentrée, comme cela avait été convenu avec les parents. Mais il a subitement été décidé, toujours selon les parents, de reconduire cette augmentation pour la rentrée prochaine 2016-2017, sans concertation ni explication.

La raison d’être des associations étant de défendre leurs membres et de porter leurs intérêts au niveau de l’AEFE, ils récusent ces augmentations quand elles ne sont pas de financements extérieurs nécessaires, car « un grand nombre de parents ne peuvent plus suivre, au-delà d’un certain niveau de frais ». Et de revenir sur le peu de cas que l’on fait de leurs remarques et observations… persistant à estimer que l’importance des fonds de réserve constitués est dû à des frais de scolarité manifestement au-dessus du prix réel de cette scolarité.

En France, le Sénat s’est saisi de cette affaire et un amendement a été introduit (et adopté) au projet de loi de finances 2016 pour augmenter de 14,6 millions d’euros la subvention versée par l’État à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Les sénateurs ont adopté l’amendement, mais il a été plus tard rejeté par l’Assemblée nationale. Le ministre des Finances, Michel Sapin, a tout de même pris la décision de verser à l’AEFE la somme de 765.700 euros… Une broutille comparée aux 20 millions d’euros d’investissements programmés par l’Agence.

3/ Constitution des fonds de réserve

Les APE expliquent que les augmentations des frais de scolarité viennent en compensation de la baisse de la subvention de l’Etat français pour ses missions au Maroc (et certainement ailleurs aussi). Les relèvements de ces frais étaient compréhensibles quand il s’agissait d’investir et, de fait, les investissements ont toujours suivi les augmentations des frais. Le problème est d’augmenter ces frais même quand il n’y a pas, ou plus, d’investissement à réaliser.

Le fonds de réserve est, lui, alimenté par les reliquats, les bénéfices de gestion. Et sur ces fonds de réserve, des ponctions sont annuellement effectuées ; elles sont de 4% pour chaque ville et chaque établissement. On ponctionne quand il y a de l’investissement programmé, mais on ponctionne aussi quand ce n’est pas le cas.

Une cagnotte est ainsi constituée, avec l’aval des APE qui admettent le principe, bien que l’argent de leurs membres aille ailleurs qu’au Maroc. En effet, c’est AEFE France qui décide du quand, combien et où concernant les affectations des fonds de réserve.

4/ Ponction de 2,6 millions d’euros du pôle...

de Rabat

Or, depuis quatre ans, les augmentations étaient toujours là, sans investissements. « La logique de l’AEFE est d’effectuer des ponctions plus importantes, pour les affecter ailleurs », s’insurge un parent d’élèves de Rabat, qui ajoute « prendre de Rabat pour injecter à Casa ou Agadir, aucun problème, mais quand une fois que tout  a été réglé au niveau équilibre au Maroc, on dégage un reliquat dans certaines villes et qu’on ponctionne  sur ce reliquat pour l’envoyer à l’étranger, cela est inacceptable ».

Et de fait, l’AEFE s’apprête à ponctionner 20% du fonds de réserve du seul pôle de Rabat, pour les envoyer au siège de l’AEFE France qui les répartira ailleurs. Ces 20% représentent la très considérable somme de 2,6 millions d’euros, pour Rabat seulement… Il faut savoir aussi que, contractuellement, une ponction de 4% du fonds de réserve est effectuée chaque année, et envoyée en France. Cette année, Rabat contribuera donc pour trois années de fonds de réserve.

L’AEFE France a en effet décidé de prélever 20 millions d’euros au niveau mondial, dont la moitié ira aux investissements de construction dans plusieurs pays et l’autre moitié sera affectée au paiement es enseignants résidents dans le monde. Sur ces 20 millions d’euros, 2,6 viendront donc de la seule ville de Rabat, les 17,4 millions restants provenant des 4% régulièrement ponctionnés ici et là dans les établissements relevant de l’AEFE (Maroc compris), sachant que la part des Marocains dans le budget de l’AEFE est d’environ du tiers.

La question brûlante que se posent les parents d’élèves de l’AEFE est de savoir pourquoi ce sont eux qui financent les activités et investissements des missions dans les autres pays.

La réponse est apportée par l’ambassade de France, pour laquelle ce genre de prélèvements contestés par les parents se fait de manière ordinaire car « les établissements concernés sont en gestion directe par l’AEFE qui donne le droit d’effectuer ces prélèvements de certains établissements quand ils ne sont pas en difficulté financière ». Cela étant, poursuit notre interlocuteur, « la mesure est normale car l’AEFE est une agence mondiale. Les (38) lycées français au Maroc ont bénéficié de ces investissements et continueront  d’en bénéficier.  Mais l’AEFE fonctionne de telle manière que si aujourd’hui, des ponctions au Maroc profitent à d’autres lycées dans le monde, dans quelques années, ce sera au tour de lycées marocains de bénéficier de prélèvements effectués ailleurs. La pratique est donc tout à fait ordinaire et se fait dans une logique d’équilibre ».

Or, de mémoire de parents, le réseau Maroc n’a pas bénéficié de transferts issus de ce mécanisme, comme en témoigne l’état général de la vétusté des établissements, voire même la fermeture de certains d’entre eux. Pourtant, le réseau Maroc a besoin d’investissements dans ses établissements : Kenitra, Fès, Meknès, Tanger, et les écoles manquent cruellement de cantines et les fonds de réserve constitués pourraient largement être utilisés ici au Maroc.

5/ La question de la qualité et qualification des enseignants

Les APE constatent également que la qualité des enseignants baisse d’année en année. Et au final, « on obtient un corps pédagogique où le niveau de qualification est bien plus bas que dans les années précédentes, en plus d’un absentéisme qui devient alarmant », explique le responsable d’une des associations de parents.

Les impacts des optimisations budgétaires qui sont appliquées sur les enveloppes allouées aux postes formation, coordination et inspection, se font grandement ressentir.

« Nous avons remarqué également la multiplication des contrôles surprise imposés aux élèves. Si cela est compréhensible pour les années de collège, pourquoi le faire au lycée, et en terminale, si ce n’est pour, sans doute, léser nos enfants avec des notes qui réduiraient la qualité de leur dossier pour de futures études dans de grandes écoles ? ». La charge est violente, et elle est confirmée par plusieurs autres parents d’élèves de Casablanca, de Marrakech ou encore d’Agadir ; un enseignant de l’AEFE Casablanca avait dit à PanoraPost que « le lycée Lyautey, au collège, c’est Chicago, et au lycée, c’est juste un peu mieux ! »… Ambiance. Tout cela conduit les parents à assurer à leurs enfants de plus en plus de cours particuliers qui viennent renforcer les cours dispensés aux lycées, voire pallier à l’absentéisme des professeurs.

A Casablanca, au lycée Massignon (OSUI), la direction avait tenu voici quelques mois, en marge de l’inauguration du lycée de Bouskoura, à nous faire la remarque suivante : « Nous nous battons tous les jours contre les cours particuliers que certains parents choisissent de donner à leurs enfants en lieu et place des cours qui continuent d'être assurés par tous les professeurs jusqu'à la fin de l'année scolaire, ce que votre article ne laisse pas transparaître, bien au contraire ».

Ce qui est valable à l’OSUI ne le serait-il donc pas pour l’AEFE ? Cela en a tout l’air… Nous y reviendrons dans un prochain article.

6/ Actions envisagées par les APE

Le groupement des associations de parents d’élèves ont donc décidé d’entreprendre une série d’actions, qui commenceront par l’envoi de lettres de rappel contestant aussi bien les augmentations continues des frais de scolarité que les ponctions envisagées sur le Maroc.

Dans l’éventualité d’une (envisageable) non-réponse, un courrier d’information va être adressé à l’Ambassadeur de France au Maroc, afin de le sensibiliser sur les soucis croissants des  parents, voire leur refus de ces décisions unilatérales.

Les APE vont également multiplier les échanges avec toutes les parties pour signifier de vive voix leurs revendications en s’appuyant sur les récentes mesures énoncées par Mme La Ministre de l’Education nationale : la révision du statut de leurs associations, qui ont semble-t-il un simple rang d’observateurs pour des décisions prises à Paris, la concertation avant toute décision concernant les fais de scolarité et les ponctions effectuées sur les fonds de réserve marocains et la question de la qualification des enseignants.

Enfin, les APE envisagent d’entrer en discussion avec leurs correspondants des pays voisins, pour commencer. Ainsi, des contacts pourraient être pris avec les APE d’Espagne, du Sénégal, de Tunisie, avant d’élargir la concertation plus tard si aucun résultat tangible n’est obtenu.

Les APE soulignent que leur finalité sera de favoriser l’échange et la concertation et non avoir recours à des actions de rétention des paiements, comme cela avait été nécessaire, il y à quatre ans, pour être entendus. Cela ne serait au demeurant pas la meilleure solution car, au-delà du fait que le choix de la mission française pour l’éducation des enfants est libre et volontaire, une telle mesure serait un mauvais message à adresser aux responsables de l’AEFE et l’ambassade de France et une source de perturbation pour les élèves qui pourraient avoir à pâtir d’une réaction de rétorsion de l’Agence.

Aziz Boucetta

 

 

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