L’affaire Maâti Monjib prend une tournure dangereuse, ici et ailleurs
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- 19 octobre 2015 --
- Maroc
L’affaire Maâti Monjib prend une autre tournure, plus grave. Alors qu’il est à son 12ème jour de grève de la faim, l’historien-écrivain et président de Freedom Now a été conduit ce matin du lundi 19 octobre, dans une ambulance, au siège de la Brigade nationale de la police judiciaire à Casablanca, pour répondre des accusations de dysfonctionnements dans la gestion du Centre Ibn Rochd qu’il présidait voici quelque temps. A l’international, la défense de Monjib s’organise, et cela risque de faire mal. Très mal.
Deux versions se font face
Elle sont portées par les deux parties en présence. Pour l’Etat, Maâti Monjib serait coupable de malversations dans la gestion d’une association et l’interdiction de quitter le territoire dont il fait l’objet se justifie par le fait qu’il n’a pas répondu aux convocations à lui adressées par la justice. Pour l’historien et son collectif, en revanche, il est interdit de quitter le territoire en raison de tracasseries de nature politique, et aucune convocation ne lui a été adressée.
C’est aussi dur que navrant à dire, l’une des deux parties ment, et c’est indigne. La justice doit faire la part des choses et (r)établir la vérité, et c’est urgent.
Maâti Monjib a alors entamé une grève de la faim illimitée depuis 12 jours, pour protester contre ces tracasseries. Souffrant de pathologies cardiaques, il a été admis deux fois aux urgences à Rabat suite à des aggravations de son état de santé. Il sera entendu aujourd’hui par la BNPJ pour répondre des chefs d’inculpation qui pèsent sur lui.
Le ministre de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid, a indiqué au comité de soutien de l’historien qu’il ne peut ni ne veut interférer dans une affaire actuellement en instruction par la justice, seule compétente pour statuer. Il a expliqué qu’il connaît bien Monjib et qu’il lui témoigne sa sympathie. Le ministre a promis de se renseigner sur cette affaire, parce que, dit-il, il ignore les raisons qui ont conduit à l’ouverture d’une instruction. Ce qui est curieux pour un ministre de la Justice confronté à une affaire qui commence à défrayer la chronique.
Préoccupation(s) internationale(s)
Le New York Times a consacré au Maroc un article et un éditorial en une semaine, critiquant ce qu’il considère comme des tracasseries envers des militants des droits. Dans
le premier, signé Aïda Alami et daté du 11 octobre, le grand et influent quotidien new-yorkais revient, entre autres, sur la régression enregistrée en matière de respect des droits de l’Homme au Maroc et en particulier sur la situation de Hicham Mansouri, ce journaliste d’investigation emprisonné pour 7 mois pour… adultère !
Dans l’éditorial, signé par la rédaction du New York Times, il est dit que « cette campagne concertée contre les détracteurs du régime porte un grave préjudice à l'image du pays. Le gouvernement devrait cesser de harceler les journalistes et permettre à des groupes de défense des droits de faire leur travail en conformité avec la Constitution du Maroc et les normes internationales. S’il ne le fait pas, il compromettra tous les acquis engrangés dans les quatre dernières années ».
Par ailleurs, une pétition a été mise en ligne par le très influent site français Mediapart, avec cette phrase en préambule : « Au Maroc, la liberté d’expression court à nouveau de graves dangers. Plusieurs journalistes et intellectuels sont actuellement victimes de répressions policières accrues. La dernière affaire en date, celle de l’historien Maâti Monjib, professeur à l’université Mohamed V de Rabat, est particulièrement alarmante ».
On notera que tant le New York Times que Mediapart reconnaissent les grands efforts accomplis par le Maroc durant 5 ans en matière de droits, ainsi que les avancées enregistrées dans ce domaine, et qu’ils semblent regretter cette affaire Monjib.
Enfin, et selon le quotidien Akhbar Alyoum, Noam Chomsky et Abdallah Hammoudi envisageraient d’adresser un courrier directement au roi Mohammed VI pour lui demander d’intervenir dans cette affaire, afin que la raison revienne. Noam Chomsky et Abdallah Hammoudi, pour ceux qui ne les connaissent pas encore, sont respectivement philosophe enseignant au prestigieux MIT (Massachussetts Institue of Technology) et anthropologue à Princeton.
Il est temps que la raison revienne en effet, car si Maâti Monjib est effectivement coupable de malversations financières, la justice doit passer, mais de façon convaincante, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Et s’il ne l’est pas, et qu’il est simplement un poil à gratter de l’Etat marocain, alors il devrait être le bienvenu car tel est le fonctionnement d’une démocratie. Et le Maroc se présente, d’une manière de plus en plus convaincante, comme une démocratie. Il serait dommage de gâcher tout cela.
Aziz Boucetta
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