Libra, la future cryptomonnaie qui inquiète les milieux financiers
La Libra, la monnaie cryptographique que Facebook entend lancer à partir de Genève en 2020, n'est encore qu'un projet, mais l'idée de la création d'un nouveau moyen de paiement alternatif aux circuits traditionnels, met sur le qui-vive tant les banquiers centraux, les politiques que les autorités de régulation, tandis que les Etats-Unis appellent la Suisse à une régulation stricte.
Régler des achats par un simple clic ou envoyer de l'argent à l'autre bout du monde avec son smartphone, c'est en effet ce que Facebook entend proposer en lançant la Libra, le réseau social de Mark Zuckerberg voulant utiliser Internet afin de permettre aux 1,7 milliard d'humains sans compte bancaire d'accéder à des services financiers de base.
Pour y parvenir, Facebook s’est associé à 27 entreprises ou organisations internationales, parmi lesquelles des géants comme Mastercard, Visa, Spotify ou encore Uber, dans le carde d'un consortium qui a créé l'Association Libra pour chapeauter depuis la Cité de Calvin le projet de la nouvelle monnaie virtuelle, qui est dirigé par David Marcus, un américain de 46 ans ayant grandi à Genève.
Inspirée de cryptoactifs comme le bitcoin, Libre, suscite néanmoins de plus en plus de vives inquiétudes tant de la part des milieux bancaires, financiers et politiques au regard notamment des risques pour la stabilité financière.
Réunis la semaine dernière à Bâle, en Suisse, les représentants de vingt-six banques centrales européennes ont fait part de leurs "vives préoccupations" sur la manière dont la Libra et d'autres technologies de monnaie numérique pourraient porter atteinte à la souveraineté des gouvernements.
Une semaine plus tôt, c'est le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, qui s'était ouvertement dit opposé au projet Libra sur le sol européen, invoquant les risques financiers considérables que cette cryptomonnaie pourrait engendrer en cas de défaillance dans son fonctionnement.
«Toute défaillance dans le fonctionnement de cette monnaie, dans la gestion de ses réserves, pourrait créer des désordres financiers considérables», a estimé M. Le Maire, redoutant également que la Libra se substitue à la monnaie nationale dans les Etats où la devise est faible ou connaît une forte dévaluation.
En juillet dernier, les ministres des Finances du G7 avaient, de leur part, alerté sur les risques pour le système financier international des projets de cryptomonnaies.
De son côté, le think tank helvétique Avenir Suisse, a relevé que l’annonce du projet Libra révèle les insuffisances du système financier actuel et devrait servir d’aiguillon à le réformer.
Le projet de nouvelle monnaie lancé par Facebook et ses partenaires pourrait avoir des répercussions sensibles sur le monde de la finance, estime une étude du think tank suisse, notant que « le nouveau projet combine intelligemment différentes composantes".
L’architecture du projet, estiment les
auteurs de l'étude, permettra de traiter beaucoup plus de transactions que le bitcoin: environ mille par seconde, contre sept à dix pour le bitcoin.
Avenir Suisse rappelle, en outre, que le projet a suscité des critiques d’organismes de réglementation qui craignent notamment que Facebook et ses partenaires profitent de leur force de frappe pour conquérir une position dominante qui entraverait la concurrence. Le succès pourrait être particulièrement grand dans les pays dont une grande partie de la population n’a pas accès aux services bancaires et où le marché des paiements est encore largement à prendre, fait observer l'étude.
«Pour Facebook & Co, le développement de zones qui n’ont pas encore été desservies par les services bancaires n’est probablement que le premier acte», suppute Avenir Suisse. «Le deuxième acte est le plus excitant, tant d’un point de vue économique que politique. La mise en place de Libra peut être comprise comme un pari sur l’effondrement de l’ordre financier établi.»
Plus encore que les pays européens, les Etats-Unis sont aux abois, particulièrement en matière de criminalité économique.
Le 10 septembre, la plus haute responsable américaine de la lutte contre les crimes financiers est venue spécialement à Berne pour mettre en garde les autorités helvétiques. "La Suisse se profile comme une place innovatrice dans le domaine financier. En ce qui concerne les cryptomonnaies, c'est dans son intérêt propre de mettre en place des règles strictes pour éviter le blanchiment d'argent ainsi que d'autres risques", avertissait Sigal Mandelker, la numéro deux du Trésor américain.
La Suisse est appelée en effet à jouer un rôle particulier dans ces développements, puisque l’association Libra y est basée et soumise à l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA).
La FINMA avait confirmé, début septembre, la réception de la demande d'évaluation de la part de l'association Libra, trois mois après l'annonce du projet par Facebook.
«Il revient à la FINMA de renseigner les participants potentiels à ce marché sur la façon dont le droit suisse de surveillance s'applique», précise un communiqué du gendarme financier helvétique qui s'estime compétente pour statuer sur cette initiative du géant californien.
Pour obtenir l'aval en tant que système de paiement, une condition fondamentale doit être remplie, à savoir que les recettes liées à la gestion de la réserve ainsi que les risques soient assumés pleinement par la Libra Association et non - comme dans le cas par exemple d'un fonds - par les éventuels détenteurs des «stablecoins», prévient la FINMA.
Vu la grande portée du projet, celui-ci «impose une coordination de la procédure au plan international», relève le gendarme financier suisse qui ne lancera une éventuelle procédure d'autorisation selon le droit suisse qu'après avoir reçu une demande concrète en ce sens.