Existe-t-il une « guerre » entre Abdelilah Benkirane et Saadeddine El Otmani ?
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- 18 avril 2017 --
- Maroc
C’est la question qui revient sur les lèvres de tous les observateurs (encore) intéressés par la politique dans le plus beau pays du monde. Depuis l’éviction d’Abdelilah Benkirane, puis son remplacement 48 heures après par Saadeddine El Otmani, et la désignation du gouvernement de ce dernier par le roi Mohammed VI, les coups de boutoir pleuvent sur le chef du gouvernement, accusé de tous les maux possibles, avec tous les mots imaginables, et même imaginaires. Le secrétaire général adjoint du PJD Slimane Elomrani apporte son éclairage dans un entretien accordé au site de son parti.
Ce qui fait sortir Elomrani de son habituelle réserve est ce chassé-croisé de visites rendues aux domiciles de chacun des deux protagonistes. Pendant que les uns, du parti et d’ailleurs, se rendaient chez Saadeddine Elotmani, d’autres, membres du PJD ou non, s’invitaient chez Abdelilah Benkirane. Pour Elomrani, il n’y a aucun mal à cela, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Les visites des sympathisants chez chacun des deux responsables, à son domicile privé, répond à une logique, que les gens tendancieux entendent occulter, puis à présenter sous un angle contraire à la vérité. En effet, ces visites simultanées sont des marques de respect et de soutien à chacun dans la fonction qu’il occupe, et elles sont effectuées à l’initiative des visiteurs, à un rythme quotidien qui devient difficilement supportable ». Le « supportable » étant ici à prendre dans le sens positif, mais l’explication du secrétaire général adjoint relève du politiquement correct.
Et la lutte sourde, et muette, entre les numéros 1et 2 du parti ? « Revenez à ce qui a été dit par chacun d’eux lors des rencontres tenues avec la Jeunesse du parti ou des parlementaires, et vous vous ferez une opinion, en dépit des divergences entre les deux hommes sur certains points. Aussi, la guerre de ‘recrutements’, ou ‘d’influence’ entre El Otmani et Benkirane n’existe que dans l’esprit de ceux qui en parlent ». Or, c’est précisément ces « divergences » qui ont dérapé, puis débordé du cadre bien fermé du PJD.
Enfin, pour la tenue du Conseil
national extraordinaire, pour lequel son président et également chef du gouvernement est accusé d’atermoiements, Elomrani a fait une simple lecture des statuts du PJD : le CN extraordinaire se tient sur convocation du secrétariat général, avec ou sans le nombre minimum de signatures requises…
Cela étant, et au risque de paraître comme « les gens tendancieux qui parlent de luttes entre les deux hommes », il est notoire au sein du PJD que les deux hommes, Saadeddine el Otmani et Abdelilah Benkirane, se vouent une certaine animosité. Cela ne va pas à la haine ou à la détestation, mais le conflit existe bel et bien, et le remplacement du second par le premier n’a rien arrangé. Bien au contraire.
Pour faire très court, les deux hommes ont conduit dans les années 90 le basculement de leur mouvance de la quasi clandestinité à la lumière du jour, passant de l’action associative discrète, voire secrète, à l’activité partisane au grand jour, sous la férule du Dr Abdelkrim el Khatib. Plus tard, El Otmani a été l’architecte de la remise en selle du PJD après les attentats du 16 mai 2003, quand il avait été question de sa dissolution institutionnelle.
En 2004, adoubé par el Khatib qui avait décidé de se retirer, Saadeddine El Otmani avait été élu secrétaire général, à la grande colère de Benkirane ; et en 2013, l’éviction d’El Otmani de son poste de ministre des Affaires étrangères avait été très mal vécue par lui.
Aujourd’hui, on peut affirmer que Benkirane ne s’attendait ni ne voulait être révoqué, surtout de la manière dont il l’a été. Et sa stupeur de l’avoir été, voire sa douleur, n’a d’égale que sa colère d’avoir vu El Otmani le remplacer, puis d’assister à la (rapide) formation de son gouvernement.
Benkirane voulait sortir par le haut, mais il a tellement fait monter les enchères qu’il est tombé de très haut. El Otmani, tombé très bas après son départ du gouvernement en 2013, et reparti donc d’en bas, sait faire profil bas pour arriver à ses fins. Et nous assistons à cette phase d’animosité désormais entre les deux hommes, une animosité qui gagnera en puissance avec le temps, n’en déplaise à M. Slimane Elomrani.
Aziz Boucetta