Où en est la formation du gouvernement ?
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- 05 novembre 2016 --
- Maroc
Le roi Mohammed VI n’est pas au Maroc, le Maroc s’apprête à accueillir la COP22 avec ses 20.000 participants, et l’opinion publique vibre aux événements d’al Hoceima, et se passionne pour l’affaire Saâd Lamjarred. Les élections et la campagne électorale sont vite passées dans l’angle mort de la mémoire des gens. Pendant ce temps-là, il se passe des choses dans le microcosme politique, avec un chef du gouvernement qui, manifestement, peine à trouver une majorité et endure en silence.
Après avoir entamé de manière quasi triomphale ses tractations avec les autres formations pour composer sa majorité et son gouvernement, le rythme auquel avance le PJD de Benkirane commence à ralentir. Le chef du gouvernement dispose aujourd’hui de deux soutiens « sérieux », en l’occurrence le PPS et l’Istiqlal, et les trois partis réunissent 183 sièges. Il leur en manque 15 pour disposer de la majorité absolue à la Chambre des représentants.
A partir de là, ce sont des spéculations, des supputations et des déclarations, pas toujours vraies ni prouvées. Benkirane a cependant déclaré aux médias qu’il n’accepterait pas de pression de la part des partenaires politiques : « Je ne céderais pas au chantage, et si je ne réussis pas à former de majorité, je retournerais vers le roi, puis je m’en irais. Le principal a été fait, le vote populaire et la décision royale ».
Un chantage, en soi ? Cela en a tout l’air…
Duel d’egos
Dernier épisode officiel en date, la rencontre entre le nouveau président du RNI Aziz Akhannouch et Abdelilah Benkirane dimanche dernier 30 octobre, au lendemain de l’élection du premier par 95% des voix des congressistes RNIstes. Les deux hommes jouent la vertu et crient leur bonne foi. Benkirane affirme qu’ « il n’accepterait pas de chantage », et Akhannouch rétorque par une attitude indignée suite à ce qu’il considère comme une divulgation par Benkirane de ses échanges avec lui, alors qu’ils avaient convenu de la confidentialité des propos tenus lors de leur rencontre.
Les deux hommes ne semblent pas s’apprécier, depuis au moins l’épisode du Fonds de développement rural et la question de son ordonnateur, en octobre 2015.
Selon plusieurs sources – à prendre quand même avec précaution en cette phase des négociations – Aziz Akhannouch a émis la volonté d’entrer au gouvernement, avec l’UC, son nouvel allié de groupe, et aussi le MP, mais à la condition que l’Istiqlal en soit écarté. RNI, UC et MP totalisent 83 sièges. Mais le chef du gouvernement désigné tiendrait à la Koutla… Or, la koutla, c’est l’Istiqlal, le PPS, mais aussi l’USFP, une USFP dirigée par le très « volatile » Driss Lachgar, qui aurait –encore une fois, une information donnée par des membres du parti, mais pas vérifiées – exigé le quart des départements ministériels, insistant en toute illogique pour qu’on considère l’USFP selon son rôle historique passé et non son rang électoral présent…
Ce qui est sûr, en revanche, est que contrairement
à 2011, quand la formation du gouvernement avait pris 7 semaines, cette fois, et après 4 semaines, rien ne semble vraiment avancer. Bien qu’il n’existe pas de délai légal pour mettre en place un gouvernement, Benkirane a donc encore une quinzaine de jours pour former sa majorité, soit le temps que la COP se tienne et s’achève, et après cela, il faudra bien clarifier les choses, dans un sens comme dans l’autre.
Pourquoi Akhannouch, si cela se confirme, voudrait tant que l’Istiqlal reste dans l’opposition ?
Cela n’aurait rien à voir avec le parti de Hamid Chabat en lui-même, mais si Benkirane ne doit à l’avenir sa majorité qu’au RNI (à travers l’UC et le MP venus en renfort), il vivra sous le joug de ces trois formations. Un malentendu, un hiatus, une exigence non remplie, et le trio s’en irait, laissant le chef du gouvernement avec ce qui reste de ses ministres en posture minoritaire. Et même si l’Istiqlal est appelé à la rescousse, il ne permettra pas d’atteindre la majorité.
Or, si Akhannouch sait incontestablement compter, il se trouve que Benkirane aussi sait le faire et c’est pour cela qu’il compte sur la présence de l’Istiqlal pour étayer sa majorité. Et il est plus que certain que Chabat ne jouera plus les filles de l’air, sachant ce que sa sortie de 2013 avait coûté à son parti et ce qu’elle avait failli lui coûter à lui (il a perdu la mairie de Fès, la présidence de la Région Fès-Meknès qu’il convoitait et il a été à un cheveu de perdre aussi son poste de secrétaire général de l’Istiqlal).
Mais est-il vraiment dans l’intérêt du RNI d’entrer au gouvernement ?
Certains, beaucoup, affirment que oui, mais il semblerait que non. En effet, après 40 ans d’existence aussi atone que monotone, le RNI a acquis de l’assurance et de l’audience depuis 2013, les grandes choses qui ont été accomplies sous le gouvernement Benkirane ayant été principalement conduites par les ministres RNI. Une période dans l’opposition raffermirait les rangs du parti, éjecterait les importuns et les opportunistes, et permettrait au parti de se réorganiser et d’être une force d’opposition vraiment audible, le PAM étant assez inapte à jouer avec crédibilité le rôle d’opposition politique, et non personnelle.
De plus, Aziz Akhannouch, avec toutes les qualités qu’on lui prête, doit rompre avec cette image qui est devenue la sienne d’homme du gouvernement, voire du sérail. Il doit prouver qu’il est capable d’organiser un parti, de fédérer les gens autour de lui, de rassembler une partie de la société autour de son projet et surtout, avant tout et plus que tout, de parler au peuple, cette « chose » que l’on paraît oublier depuis le 7 octobre... Pour cela, rien de mieux que l’opposition, et, dans l’intervalle, MP et USFP pourront toujours continuer, eux, à jouer les empêcheurs de former un gouvernement…
Aziz Boucetta