L’avortement, enfin, dans le Code pénal, mais…
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- 25 mai 2016 --
- Maroc
Le Secrétariat général du gouvernement a adressé voici quelques jours la mouture finale du projet de Code pénal aux membres du gouvernement, pour examen, aux fins de le programmer en Conseil de gouvernement. De nouvelles dispositions du fameux article 453 sur l’avortement y sont introduites, représentant certes une avancée, mais qui reste minime. Les nouveaux cas prévus ne règleront que 10% des cas d’avortements clandestins. Du travail, beaucoup de travail, reste donc à faire.
La législation actuelle
Ainsi, l’ancienne version du 453 (toujours en vigueur à aujourd’hui) est comme telle : « L’avortement n'est pas puni lorsqu'il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu'il est ouvertement pratiqué par un médecin ou chirurgien avec l'autorisation du conjoint.
Si le praticien estime que la vie de la mère est en danger, cette autorisation n'est pas exigée. Toutefois, avis doit être donné par lui au médecin -chef de la préfecture ou de la province.
A défaut de conjoint, ou lorsque le conjoint refuse de donner son consentement ou qu'il en est empêché, le médecin ou le chirurgien ne peut procéder à l'intervention chirurgicale ou employer une thérapeutique susceptible d'entraîner l'interruption de la grossesse qu'après avis écrit du médecin -chef de la préfecture ou de la province attestant que la santé de la mère ne peut être sauvegardée qu'au moyen d'un tel traitement ». Suivent les articles sur les peines et sanctions prévues pour les cas d’avortement.
La polémique de 2015 et l’implication du roi
On rappelle que la question de l’avortement avait suscité une rude polémique au sein de la société, entre le camp progressiste qui milite pour la légalisation de l’avortement et les conservateurs, qui y sont farouchement opposés. La controverse avait commencé suite au film documentaire diffusé par une télévision française sur l’avortement clandestin au Maroc, où le médecin chef de la maternité des Orangers à Rabat, le Pr Chafik Chraïbi, avait expliqué les drames sociaux, personnels et familiaux liés à l’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse.
Le roi était intervenu dans l’affaire, et avait chargé les ministres de la Justice et de la Santé, en plus du président du CNDH, de réfléchir à la question et de lui soumettre leurs propositions ; deux mois plus tard, le palais avait publié un communiqué dans lequel il recommandait la légalisation des cas d’avortement portant sur :
1/ Lorsque la grossesse constitue un danger pour la vie et la santé de la mère ;
2/ Dans les cas où la grossesse résulte d'un viol ou de l'inceste ;
3/ Dans les cas de graves malformations et de maladies incurables que le fœtus pourrait contracter.
Que dit la nouvelle version ?
453-1 : Ne sont plus punis les avortements concernant les cas d’inceste ou de viol.
Il faut cependant qu’il y ait eu préalablement une plainte pour ces actes, ce qui réduit grandement la portée de l’article, pour des raisons sociales et psychologiques qui empêcheraient les victimes d‘aller à la police. De plus, tout sera fait, aux termes de cet article, pour conseiller la femme enceinte de garder son enfant et de le faire adopter.
453-2 : Ne sont plus punis les avortements concernant les femmes handicapées mentales.
L’intervention nécessitera l’accord du mari, des parents le cas échéant, ou du tuteur légal. La maladie mentale sera précisément définie par un arrêté ministériel.
453-3 : Ne sont plus punis les avortements concernant les cas de maladies génitales graves et/ou les malformations du fœtus. Ces anomalies seront diagnostiquées par une équipe médicale désignée par le ministère de la Santé.
(Voir document, pp 16-17)
Qu’en pense le Pr Chraïbi ?
Il est l’un des spécialistes incontestés du pays en matière de gynécologie obstétrique et le meilleur connaisseur, de part sa fonction, ses connaissances et son expérience, du fléau de l’avortement clandestin.
Contacté par PanoraPost, le praticien nous explique que « ces trois points sont une avancée, mais j’avais ajouté la mère handicapée mentale, et les commissions en ont tenu compte. C’est bien. Mais, ils n’ont pas pris en considération la demande d’impliquer également les mineures, jeunes et pouvant être tenues pour inconscientes de leurs actes. A 12 ou 13 ans, une jeune fille est exposée à tous les dangers.
L’article 453 dit que l’avortement est autorisé quand la vie ou la santé de la mère sont mises en jeu. Il faut donc tenir compte de la santé selon la définition de l’OMS, à savoir pas seulement la santé physique, mais aussi mentale et sociale ».
Qu’est-ce que la santé mentale ? « Une personne qui a une grossesse non désirée peut aller jusqu’au suicide, c’est cela la santé mentale, le bien-être psychique de la mère ». Il faut juste qu’un psychologue ou un psychiatre l’atteste.
Qu’est-ce que la santé sociale ? « C’est celle qui concerne les personnes marginalisées et/ou précarisées, du type SDF (sans domicile fixe). Elles peuvent être en bonne santé physique, mais pas sociale. C’est aussi le cas d’une jeune femme non mariée et enceinte, qui se retrouvera marginalisée, sans travail, rejetée par les siens et exposée à l’opprobre publique. Elle n’est pas non plus en santé ».
Et donc, ajoute le professeur Chraïbi, on a laissé le terme santé dans le flou, « il faut préciser dans cet article que l’avortement est légal lorsque la santé physique, mentale et sociale est menacée ». Un rapport a été publié par le médecin, qui a eu des contacts soutenus avec le département de la Santé. « Ils sont à 99% en accord avec mes recommandations, mais pour le ministère de la Justice, il n’y a jamais eu de relations, le ministre ne m’a jamais écouté, contrairement au CNDH ».
Il est vrai que cette question de l’avortement, le ministre Ramid l’a toujours refusée, au nom du droit à la vie dans la religion, et surtout dans le rite malékite, qui est le plus dur des quatre grands rites musulmans. Et pour le ministre de la Justice, logique envers lui-même, dépénaliser l’avortement d’une mineure pourrait ouvrir la voie à toutes les relations sexuelles hors mariage. Et pourtant, suggère le médecin, les mineures doivent être concernées et protégées par la loi, « sous l’autorité parentale ». Il pense que cela pourrait faire l’objet d’un débat au parlement, du moment que les parents sont avisés et d’accord pour avorter leur fille.
Le professeur Chraïbi est formel : les cas concernés par les nouvelles dispositions du Code pénal représentent à peine 10 à 15% au maximum du nombre d’avortements clandestins, qu’il estime entre 600 et 800 cas par jour.
On peut donc dire que si cette nouvelle législation est bienheureuse, elle reste incomplète car elle ne traite pas des cas sociaux. La maladie de la mère, épouse, le viol ou l’inceste établis par la justice et les malformations ont de tous temps été acceptés pour justifier un avortement, mais pas les relations sexuelles non protégées, les viols et les incestes non dénoncés, et les cas des marginaux sociaux.
Et c’est sur cela que la lutte des progressistes doit continuer.
Aziz Boucetta