Pourquoi le Maroc est intervenu au Yémen
- --
- 0000-00-00 --
- Maroc
Une fois n’est pas coutume, le ministère des Affaires étrangères s’est départi de sa légendaire discrétion et a publié un communiqué dans lequel il reconnaît l’engagement de l’armée marocaine – les Forces Royal Air – aux côtés de la coalition conduite par l’Arabie Saoudite et engagée au Yémen contre les rebelles chiites houthis. Pourquoi le Maroc intervient-il alors ? Explications.
Voici le texte du communiqué publié par le ministère : « En réponse à la demande de Son Excellence M. Abdrabbou Mansour Hadi, Président légitime de la République Yéménite et partant du soutien à la légitimité au Yémen et de la solidarité avec ses partisans, ainsi que de l'engagement continu quant à la défense de la sécurité du Royaume d'Arabie saoudite frère et d'Al Haram Acharif, et celle des autres pays du Conseil de coopération du Golfe auquel le Royaume du Maroc est lié par un partenariat stratégique multidimensionnel, le Royaume du Maroc a décidé d'apporter toutes les formes d'appui et de soutien à la coalition pour le soutien de la légitimité au Yémen dans ses dimensions politique, de renseignement, logistique et militaire. Ce soutien comprend la mise des Forces Royales Air stationnées aux Emirats Arabes Unis frères à la disposition de cette coalition afin de sortir le Yémen de la crise dans laquelle il s'enlise et de la situation sanglante qu'il traverse, et faire face à toute conspiration étrangère ourdie contre ce pays et contre la sécurité du Golfe et arabe ».
Il existe des raisons à plusieurs niveaux à cet engagement subit :
1/ En 2011, en plein printemps arabe, les 6 pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït, Emirats Arabes Unis, Bahreïn, Qatar et Oman) avaient suggéré une adhésion au Conseil de la Jordanie et du Maroc, deux pays connus pour avoir des armées et des services de renseignement efficaces, en plus d’être des monarchies. La fameuse solidarité des têtes couronnées... En ces temps-là, les pays du Golfe craignaient que les deux royaumes ne soient emportés par les manifestations mais les rois Mohammed VI et Abdallah II de Jordanie avaient poliment décliné, proposant le remplacement d’une adhésion pleine au Conseil par des accords stratégiques.
Aux termes de ces accords, les royaume et émirats du Golfe devaient appuyer financièrement le Maroc et la Jordanie et ces derniers s’engageaient en retour à leur apporter leur soutien militaire et logistique en cas de besoin. Le besoin est aujourd’hui là, après que Rabat eût déjà envoyé son armée de l’air pour appuyer les Emirats dans leur guerre contre Daech. Ce sont 6 chasseurs marocains, déployés dans cet émirat, qui ont participé aux frappes aériennes sur le Yémen.
2/ En vertu des accords bilatéraux et des relations entre Rabat et Riyad, et en dépit de la puissance de l’armée saoudienne en équipements, le premier ne pouvait pas laisser le second s’engager dans une guerre sans lui apporter son appui. Mohammed VI et
le nouveau roi Salmane entretiennent des rapports très amicaux, déjà du temps où le roi saoudien était prince héritier, qu’il venait souvent en villégiature au Maroc et qu’il résidait dans les palais royaux. Cela crée des liens. Hier, les deux souverains ont eu un entretien téléphonique, lors duquel Salmane a remercié Mohammed VI pour son action.
3/ Le Maroc agit dans la légalité internationale qui peut se manifester de deux manières différentes : un mandat international, ou une demande officielle exprimée par le gouvernement officiel d’un pays. C’est le cas avec la requête présentée par le président Abdrabbou Mansour Hadi, comme mentionné dans le communiqué du ministère des Affaires étrangères. Le Maroc est donc dans une opération légitime.
4/ Bien qu’il y ait eu récemment un réchauffement entre Rabat et Téhéran, l’Iran chiite ne saurait s’investir dans la péninsule arabique sans inquiéter le Maroc, pays sunnite de rite malékite dirigé par un Commandeur des Croyants, lesquels croyants vouent une animosité séculaire pour les chiites, qui le leur rendent bien. Or, les Houthis sont chiites et donc appuyés par Téhéran qui, par leur intermédiaire, souhaite prendre pied à quelques kilomètres de l’Arabie Saoudite. Le Maroc ne peut laisser faire sans réagir un mouvement qui serait de nature à perturber les déjà bien fragiles équilibres dans la péninsule.
5/ L’offensive houthie, si elle réussit, procurerait aux rebelles, et à l’Iran, une maîtrise du Golfe d’Aden, passage obligé vers le canal de Suez et donc passage également des pétroliers qui alimentent l’Europe en hydrocarbures et des autres bateaux commerciaux, et militaires. Contrôler ce détroit stratégique ajouterait au risque déjà existant de la présence iranienne dans le détroit d’Ormuz, dans le golfe persique. On peut donc estimer que l’intervention arabe ait été faite par procuration des puissances occidentales, dont le mutisme confirme leur aval et même leur bénédiction à cette opération.
6/ Les rebelles houthis sont soutenus par l’ex-président Ali Abdallah Saleh, renversé suite au printemps arabe. Or, l’issue politique qui avait été trouvée au Yémen était l’œuvre de l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU Jamal Benomar, un Marocain qui, selon des sources diplomatiques, n’a jamais perdu le contact avec son pays d’origine, bien qu’il l’eût quitté précipitamment et clandestinement dans les années 80, sous l’ère Hassan II et Basri. Le Maroc pourrait également donc avoir été encouragé à prendre sa décision par Benomar, qui reste un personnage influent dans le Palais de verre de New York, avec lequel le Maroc a quelques soucis liés à l’affaire du Sahara.
7/ Enfin, le Maroc se positionne comme une puissance militaire régionale incontournable avec ses services de renseignements new generation (DST, BCIJ) et avec son armée, mobile et efficace, dotée des équipements les plus modernes et servie par des officiers hautement formés. Cela sert toujours dans des négociations et cela pourra toujours servir dans de futures tractations avec les royaume et émirats de la péninsule arabique.
AAB