L’évaluation de l’action publique au Maroc - Plaidoyer pour son institutionnalisation et  nouveaux défis de développement, par T

L’évaluation de l’action publique au Maroc - Plaidoyer pour son institutionnalisation et  nouveaux défis de développement, par T

« L’un des problèmes qui entravent aussi le progrès du Maroc réside dans la faiblesse de l’Administration publique, en termes de gouvernance, d’efficience ou de qualité des prestations offertes aux citoyens ». Extrait du Discours du Trône 2017

Evaluation de l’action publique : concept et éclairages méthodologiques

Le concept d’évaluation prête à confusion du fait de son association, voire de sa confusion,  avec des notions plus courantes telles que « audit », « contrôle de régularité, de légalité, de gestion », etc.

L’évaluation est en fait un concept plus global. Elle s’intéresse plutôt  aux résultats, aux effets et à l’impact des politiques et des projets plutôt qu’aux procédures administratives. Aussi, l’évaluation,  se propose-t-elle de questionner en profondeur les choix stratégiques des projets ou des «politiques publiques», en s’interrogeant sur leur valeur, leurs impacts et leurs résultats.

Trois ensembles de principes fondent « les sciences de l’évaluation » :

1/ Le cadre logique : rassemble les principaux éléments d’une intervention publique (inputs, activités, outputs, butomes, impacts…)

2/ La mesure des effets (directs, indirects, ultime, hors cible) représente la préoccupation principale de l’évaluation (son concept fondateur, sa fonction sociale et politique)

3/ L’approche des données probantes en particulier celle des protocoles expérimentaux et quasi expérimentaux (Evidence Base Policiers).

Référentiels de l’évaluation au Maroc : Discours Royaux, Constitution, Instances Publiques et Cadres réglementaires

Au Maroc, les insuffisances de la pratique évaluative ont été relevées avec force à l’occasion du rapport du cinquantenaire lequel avait permis de faire ressortir, à l’époque, les déficits structurels de la trajectoire de développement du Royaume (« les nœuds du futur »).

Depuis,  les références à l’évaluation de l’intervention publique comme outil d’amélioration et de réajustement de l’action publique sont reprises à différents niveaux : Discours Royaux, Constitution de 2011 (article 1,  12, 13, 101, 156, 168, 146.), Instances étatiques. (Parlement, Cour des Comptes, instances de concertation, participation des citoyens, rôle du Conseil Economique et Social, Evaluation en régions, Conseil Supérieur pour l’Education et la Formation,).

Néanmoins, il a été prouvé en se référant aux bonnes pratiques au niveau international que la culture de l’évaluation ne peut produire pleinement ses effets sans une démarche d’institutionnalisation et de professionnalisation de la fonction d’évaluation.

L’évaluation au niveau des instances étatiques : une approche plutôt sectorielle de l’évaluation et peu d’avancées en matière d’institutionnalisation

Les instances étatiques dont les missions incluent l’évaluation de l’action publique sont diverses et nombreuses dont nous citerons parmi les principales : les deux chambres du Parlement, le Conseil Economique et Social, le  Corps des Inspecteurs Généraux, l’Inspection Générale des Finances, le HCP, certains Observatoires…

Producteurs d’informations, d’indicateurs et de connaissances utiles à l’action publique, ces différentes instances souffrent néanmoins du déficit d’une approche globale et transversale de l’évaluation, sauf peut-être, pour le CESE dont les rapports proposent des analyses et recommandations à caractère stratégique accessibles au grand public.

Le Ministère des Affaires générales et de la Gouvernance (MAGG) rattaché au Chef du Gouvernement a enclenché depuis quelques années une réflexion pour la mise en place d’une politique nationale d’évaluation mais non  suivie d’effets concrets sur le terrain.

De même, le texte organique sur les finances publiques de 2014 avait préconisé aux départements ministériels de produire  un « Rapport Ministériel de Performance » pour servir au débat et à l’évaluation parlementaires. Mais, à...

notre connaissance, aucun rapport de ce type n’a été réalisé à ce jour.

Qu’en sera-t-il à la suite du dernier Discours du Trône ?

Le Chef du Gouvernement a d’ores et déjà annoncé la création d’une Commission Nationale de l’Evaluation à caractère interministériel mais dont la composition, les missions et le rôle restent à définir. La création de cette instance pourrait constituer une certaine avancée en matière d’institutionnalisation de la fonction d’évaluation. Néanmoins, nous formulons le voeu que les représentants de la société civile soient impliqués et que soient garanties les conditions d’indépendance et de neutralité nécessaires à toute évaluation selon les normes internationalement reconnues.

Evaluation, défis de développement  et mutation des politiques publiques au Maroc :

L’intervention publique au Maroc est confrontée à de nombreux défis de développement :

1/ Défis de la compétitivité,  de  l’émergence économique et de l’inclusion économique  et sociale qui demeurent, hélas !  des horizons encore lointains;

2/ Défis de l’attractivité en ce qui concerne le climat des affaires au Maroc sujet à une gouvernance bureaucratique qui a montré ses limites ;

3/ Défis climatiques et du développement durable où le Maroc se positionne comme un acteur de référence en Afrique et parmi les pays du Sud, à la suite de l’organisation de la COP 22 : ODD et mise en œuvre de l’Accord de Paris (transition énergétique, sécurité alimentaire, sécurité hydrique, sécurité sanitaire… doivent guider désormais toute stratégie de développement);

4/ Défis du développement humain dont les indicateurs en la matière (santé, éducation, disparités sociales et territoriales…) placent encore notre pays dans un rang peu honorable au niveau  international malgré les efforts et les moyens déployés ;

5/ Défis de l’alignement des droits humains et du genre sur les normes internationales auxquels le Maroc adhére dans le cadre des différentes conventions internationales adoptées par le Royaume.

Ces défis de nature à la fois globale et contextuelle eu égard à la trajectoire actuelle de développement de notre pays, devraient inspirer une rénovation des référentiels des politiques publiques en incluant des systèmes d’évaluation performants.

Les pratiques de l’évaluation, quant à elles,  sont en évolution permanente pour adapter les outils et les méthodologies aux nouveaux défis. A titre illustratif, l’évaluation pour le développement, devrait :

1/ Redéfinir les référentiels de développements selon « des logiques de convergence sectorielle et territoriale » ;

2/ Procéder à des « méta-évaluations » de l’action publique sur la base des nombreuses  évaluations  sectorielles ;

3/ Intégrer des  méthodologies inclusives et participatives : l’évaluation doit contribuer à comprendre pour améliorer et éclairer la décision ;

4/ Professionnaliser l’évaluation, son acceptabilité et son institutionnalisation ;

5/  Recourir à l’expérimentation et les projets pilotes qui sont en mesure d’apporter des changements structurels ;

6/ développer les capacités de collecte et de traitement des données ;

7/ Faire de sorte que la régionalisation avancée soit un levier  de l’évaluation, en régions, notamment,  dans les contrats-programmes.

Enfin en rappelant explicitement les termes de l’article 1 de la Constitution sur « la reddition des comptes, » le Discours du Trône constitue un plaidoyer plein de sens et de puissance à l’égard des instances étatiques et autorités locales afin de faire de l’évaluation une clé  d’amélioration de l’action pour le développement.

Ce Discours constituera sans nul doute une précieuse référence à l’institutionnalisation et la professionnalisation de l’évaluation au Maroc.

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Taoufik Boudchiche est économiste et diplomate

 

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