Lecture du communiqué royal sur le chef du gouvernement

Lecture du communiqué royal sur le chef du gouvernement

Et donc, comme il était attendu, le roi Mohammed VI a réagi au retard de la formation du gouvernement Benkirane. Le Cabinet royal a publié hier en milieu de soirée un communiqué  annonçant la fin de mission d’Abdelilah Benkirane et la nomination imminente d’une autre personnalité, chargée de former le gouvernement, au sein du PJD. Analyse.

Voici le texte intégral du communiqué : 

« Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, avait pris l’initiative, 48 heures après l’annonce des résultats des élections législatives1 du 07 octobre 2016, de désigner M. Abdelilah Benkirane, Chef du Gouvernement.

A rappeler que SM le Roi avait exhorté, à plusieurs reprises, le Chef du Gouvernement désigné, d’accélérer la formation du nouveau gouvernement2.

Après le retour au pays de SM le Roi, que Dieu Le préserve, au terme de la tournée qui a conduit le Souverain dans plusieurs pays africains frères, Sa Majesté le Roi a pris connaissance que les consultations menées par le Chef du Gouvernement désigné, pendant plus de cinq mois3, n’ont pas abouti jusqu’à ce jour à la formation de la majorité gouvernementale, en plus de l’absence de signaux qui augurent de sa prochaine formation3.

En vertu des prérogatives constitutionnelles de Sa Majesté le Roi, en Sa qualité de garant de la Constitution et de la bonne marche des Institutions, et de défenseur des intérêts suprêmes de la Nation et des citoyens4, et partant du souci de Sa Majesté de dépasser la situation d’immobilisme actuelle, Sa Majesté le Roi, que Dieu Le préserve, a décidé de désigner une autre personnalité politique du parti de la Justice et du développement5 en tant que nouveau Chef du gouvernement.

SM le Roi a opté pour cette Haute décision, parmi toutes les autres options que Lui accordent la lettre et l’esprit de la Constitution, en concrétisation de Sa volonté sincère et de Son souci permanent de consolider le choix démocratique4 et de préserver les acquis réalisés par notre pays dans ce domaine.

Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste, recevra dans le délai le plus proche, cette personnalité et la chargera de former le nouveau gouvernement.

Sa Majesté le Roi a tenu à saluer le haut sens de responsabilité et de patriotisme 6 sincère dont a fait preuve M. Abdelilah Benkirane, tout au long de la période pendant laquelle il a assumé la présidence du gouvernement, en toute efficacité, compétence et abnégation ».

Commentaires :

1/ Le roi a fait un retour sur la genèse de ce gouvernement qui tarde à être formé. Il a évoqué le fait que la désignation de Benkirane en qualité de chef du gouvernement désigné a eu lieu 48 heures après l’annonce des résultats. C’est en réalité moins que cela, car les résultats définitifs, listes locales et liste nationale, n’ont été annoncés officiellement que le 9 octobre et, 24 heures après, Benkirane était au palais royal de Casablanca pour sa nomination.

Le roi avait donc mis en œuvre les dispositions de la constitution, article 47, en choisissant un chef du gouvernement issu du parti classé premier. Mais il a aussi usé de cette fameuse « méthodologie démocratique » chère aux socialistes en désignant le secrétaire général de ce parti, le PJD ? Alors que rien ne l’y contraignait dans l’article 47 ou dans d’autres articles de la constitution.

En faisant cela, Mohammed VI avait offert l’occasion à Benkirane d’être le premier chef du gouvernement à rester 10 ans en poste. Cela n’aura pas été le cas.

2/ Durant cinq mois, lors desquels le projet de loi de Finances devait être examiné et durant lesquels l’Acte constitutif de l’Union africaine devait être ratifié (il l’a été sur exhortation royale), le chef de l’Etat a saisi plusieurs fois celui du gouvernement pour accélérer le tempo.  Ainsi, en dehors du Conseil de ministres du 10 janvier, deux conseillers du roi avaient été rendre visite à Abdelilah Benkirane le 24 décembre pour s’enquérir auprès de lui de l’avancée des choses et lui transmettre le souci du roi de voir les tractations aboutir.

Le roi a donc fait preuve de patience et de retenue, surtout quand il est apparu que les négociations étaient dans l’impasse, et surtout après le fameux communiqué du « game over » (intaha lkalam en VO) du 9 janvier. Et de ce communiqué où Benkirane avait décidé d’interrompre les discussions au 15 mars, il s’est passé une dizaine de semaines, où le chef du gouvernement avait eu...

l’occasion et le temps de rattraper les choses. Ce qu’il n’a pas pu, ou su, faire.

3/ Que Benkirane soit donc prié de céder sa place à quelqu’un d’autre au sein du PJD n’est pas surprenant, car après 5 mois de discussions – qui s’exacerbent et se tendent de plus en plus – le Maroc ne peut attendre plus longtemps, sans perspective d’une quelconque issue.

On pourra dire ce qu’on voudra sur Aziz Akhannouch, président du RNI et chef de la coalition quadripartite en négociation avec Benkirane, mais le fait est là, que chacun campe sur ses positions. Akhannouch a redit qu’il voulait l’USFP au gouvernement et Benkirane a juré la semaine dernière qu’on ne l’y prendra pas. Il n’y avait pas d’autre issue que de changer le chef du gouvernement, Akhannouch et les siens étant les interlocuteurs de Benkirane et n’ayant aucune fonction institutionnelle actuellement.

4/ Le roi invoque l’article 42 de la constitution, avant de revenir au 47 plus loin… Cet article impose au roi de débloquer toutes les situations qui affectent la bonne marche des institutions. Le recours à cet article 42 explique le paragraphe suivant « parmi toutes les autres options que Lui accordent la lettre et l’esprit de la Constitution, en concrétisation de Sa volonté sincère et de Son souci permanent de consolider le choix démocratique ».

D’autres options existent en effet, comme le passage au parti, ou bloc de partis, second, « au vu des résultats électoraux » (article 47), ou encore comme le recours à un gouvernement de technocrates, dès lors que la personne désignée au sein du parti arrivé premier échoue à composer une majorité.

On pourra rétorquer ce qu’on veut, mais il faudra bien lire l’article 42, qui fait du roi le garant du bon fonctionnement des institutions. Or, convoquer des élections n’est pas un « bon fonctionnement », surtout que d’autres élections déboucheraient inévitablement sur la même configuration politique, même avec une avancée du PJD à 140 ou 150 sièges.

5/ « Choisir une autre personnalité au sein du PJD » est une décision cruciale car elle consiste toujours en l’application stricte de l’article 47 de la constitution. On remarquera que le communiqué ne mentionne à aucun moment une « révocation » ou « un limogeage » de Benkirane. En effet, voici quelques semaines, une polémique était née – sur Akhbar Ayoum – tendant à démontrer que le roi ne peut démettre le chef du gouvernement, désigné ou non, sauf à dissoudre la Chambre des représentants et appeler à des élections anticipées.

Selon plusieurs constitutionnalistes, cette lecture est inexacte car un chef de gouvernement n’endosse la totalité et la réalité de ses pouvoirs que lorsqu’il est investi par le parlement. En effet, la mise en place de l’institution de la présidence du gouvernement requiert trois actes constitutionnels : la nomination d’un chef du gouvernement désigné par le roi, puis la nomination d’un gouvernement par le roi toujours, et enfin l’investiture de ce gouvernement par le parlement. La troisième étape n’a pas été effectuée.

Le chef de l’Etat peut donc parfaitement révoquer un chef du gouvernement désigné, mais cela n’a pas été explicitement mentionné dans le communiqué… En politique, l’élégance peut également avoir le droit de cité.

6/  Aux yeux du roi, Abdelilah Benkirane a été responsable, patriote, efficace, compétent et plein d’abnégation. Le chef du gouvernement n’aura donc pas démérité et le chef de l’Etat  vient d’apporter, une seconde fois en cinq mois, le témoignage de l’estime qu’il porte à son chef du gouvernement. Mais celui-ci a échoué à former une majorité. On pourrait aller chercher les raisons et insulter Akhannouch, le Makhzen, les abstentionnistes ou les socialistes, cela ne changera rien aux faits : il n’y a pas de gouvernement depuis 5 mois et le chef du gouvernement a failli dans sa tâche.

Comment réagira le PJD à cette décision royale, constitutionnelle, institutionnelle, et très fonctionnelle ? Il n’aura pas d’autre choix qu’attendre la désignation par le roi d’un autre chef du gouvernement, pris en son sein. Nous sommes en plein dans l’article 47 de la constitution, et Mohammed VI a repris, en quelque sorte, la saillie de Benkirane ce samedi  11 à Oualidia : « le roi a décidé de me nommer, et il aurait pu nommer Ramid, El Otmani, Rabbah, et il peut faire ce qu’il veut ; s’il veut changer son avis, je n’ai rien à dire, mais la volonté du peuple doit être respectée ». Mohammed VI va donc choisir quelqu’un d’autre, tout en respectant la volonté du peuple, si tant est que les votants du PJD soient le « peuple ».

Aziz Boucetta

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