L’Istiqlal, entre ses démêlés et ses pieds-nickelés

L’Istiqlal, entre ses démêlés et ses pieds-nickelés

Jamais les choses ne se sont autant accélérées au sein de ce parti de l’Istiqlal, vieux de 85 ans et habitué à résoudre ses affaires internes en interne. Aujourd’hui, c’est la justice qui s’y met, les médias qui relaient, les ambitions qui se multiplient, les dissensions qui prolifèrent. Et au final, c’est le gros paquebot Istiqlal qui tangue.

Le cas Karim Ghellab et Yasmina Baddou. On le sait, Taoufiq Hjira, Yasmina Baddou et Karim Ghellab ont été suspendus pour 18 mois par la Commission de discipline du part. Les deux derniers ont esté en justice contre cette décision, contrairement à Taoufiq Hjira dont, selon ses proches, le différend avec le secrétaire général Hamid Chabat est d’ordre politique et non disciplinaire ou réglementaire.

Dans cette affaire, Hjira a agi en politique, à la différence des deux autres – Ghellab et Baddou – qui ont préféré étaler les affaires de leur parti devant une cour de justice, laquelle a infligé un très sévère camouflet, voire une sérieuse humiliation, à un parti qui, après 85 ans d’existence, ne sait pas appliquer ses propres règles. Par ailleurs, Baddou et Ghellab se présentent aujourd’hui devant les Istiqlaliens, diminués par leur défaite électorale à Casablanca. Un homme (et une femme) politique ne saurait être audible, et crédible, quand il n’a pas eu l’onction du peuple, même s’il l’a eu auparavant.

Cela étant, quand la justice a rétabli le duo Ghellab et Badou dans leur droit, ce n’est pas en annulant la suspension, ce qui aurait été une décision de fond, mais pour geler cette suspension, dans l’attente d’une décision du Conseil national, seule instance habilitée à trancher un tel cas de figure.

Mais Chabat avait tôt fait de convoquer un conseil national extraordinaire, qui s’est tenu ce samedi 4 mars, et qui a entériné la décision de suspension de 18 mois prononcée par les trois dirigeants (avec Hjira), en la ramenant, dans un acte de grande mansuétude, à 9 mois. Ce qui ne change rien à la donne puisque le Congrès, objet de toutes les convoitises, est programmé pour mars.

Cela étant, la tenue de ce Conseil national extraordinaire est illégale au regard de la « coutume » du parti, car les mesures disciplinaires doivent être traitées lors de Conseil nationaux ordinaires, et dans le cadre des « points divers » de l’ordre du jour. Cela n’a pas été le cas, et nul doute que Ghellab et Badou iront encore devant les tribunaux. C’est leur manière de voir les choses, une manière que n’aurait jamais utilisée un vrai cadre du parti, ayant milité depuis son enfance et connaissant bien les rouages de sa formation. Les affaires internes, c’est en interne,...

à l’Istiqlal…

Le congrès. Il existe aujourd’hui 5 candidatures pour la succession de Chabat, si l’on exclue Chabat : il s’agit de deux membres du Comité exécutif, Taoufiq Hjira et Karim Ghellab, deux outsiders, Nizar Baraka et Mhamed Khalifa, et un homme que l’on n’attendait pas, à savoir le représentant du Sahara, Hamdi Ould Rachid.

Les deux premiers sont exclus, de facto et de jure, car suspendus pour 9 mois. Les deux suivants sont en compétition déclarée, aucun ne voulant se désister au profit de l’autre, même s’ils ne se sont pas déclarés officiellement. Si Khalifa dispose de la stature, vu son rôle de quasi « historique » de l’Istiqlal, Baraka a tout autant que lui l’envergure, de par sa légitimité familiale et surtout technocratique, étant ancien ministre des AFfaires générales, puis de l'Economie, et étant actuellement le président très en vue et en pointe du Conseil économique, social et environnemental.

Cependant, la candidature de ces deux derniers, Baraka et Khalifa, est remise en cause, voire rendue impossible, par l’article 54 des statuts du parti qui impose à tout candidat d’être préalablement membre du Comité exécutif sortant. Or, ni Nizar Baraka ni Mhamed Khalifa, avec toute la légitimité dont ils disposent, n’est membre de cette instance. Il faudra changer cet article des statuts, mais c’est le congrès qui est hébilité à le faire, et le congrès est « tenu » par Chabat et sa clientèle.

Il reste Hamdi Ould Rachid, dont l’allégeance véritable n’est connue de personne en dehors de lui. Réputé être un soutien de Chabat, avec la famille Qayouh de Souss Massa Dra, il a réclamé au chef du parti un plus grand quota de membres au conseil national, qui élit le secrétaire général. Cela voudrait-il dire qu’Ould Rachid pourrait être candidat à la fonction suprême au parti ? Tout le laisse croire, de même que cette rumeur qui évoque un accord « secret » entre lui et Chabat sur le base que le premier serait élu secrétaire général, mais à la condition de créer la fonction de secrétaire général-adjoint – qui a existé par le passé –, laquelle serait confiée à un des hommes du clan Chabat.

Aussi, et à l’écriture de ces lignes, rien n’est clair au parti, où l’on évoque de plus en plus l’éventualité du report du congrès, afin de laisser les choses se clarifier. Mais l’appareil étant tenu par Chabat et ses hommes, tout report ne saurait passer que par leur adhésion, et cette adhésion ne pourrait être décidée et servir que les intérêts personnels de Chabat.

Le grand parti marocain que fut l’Istiqlal en est donc, bien malheureusement,  réduit avec ses démêlés à devenir le parti des pieds nickelés.

Aziz Boucetta

Commentaires