La problématique et les problèmes des stocks de produits de première nécessité au Maroc

La problématique et les problèmes des stocks de produits de première nécessité au Maroc

La Cour des Comptes s’est intéressée aux stocks détenus par le Maroc en produits pétroliers et alimentaires, ainsi que pour les produits de santé. L’institution a relevé nombre de dysfonctionnements dans les volumes et la tenue de ces stocks, mais elle a également pointé les insuffisances du cadre juridique.

Ainsi, commençant par ce cadre juridique et les différents textes règlementant l’activité du stockage des produits et la garantie du stock de sécurité, la Cour des Comptes indique que « le système de stockage de sécurité en vigueur au Maroc est régi par la loi n° 09-71 du 12 octobre 1971 et les législations et réglementations spécifiques aux différentes catégories de produits. L’analyse de ce cadre juridique et de son évolution montre qu’il reste incomplet et n’apporte pas les définitions et les spécifications nécessaires pour une gestion efficace des stocks de sécurité. Ainsi, certains textes réglementaires prévus accusent un grand retard dans leur publication. Ce cadre est également marqué par un manque de dynamisme. En effet, depuis leur établissement, l’essentiel des textes n’a pas connu de mise à jour pour apporter les précisions qui s’imposent et tenir compte des évolutions que connaissent les secteurs concernés ».

La critique est donc adressée au gouvernement qui est appelé à faire évoluer les textes juridiques, et aussi pour en contrôler les suites, sachant que les niveaux de stocks sont parfois alarmants,comme le montrent les chiffres ci-dessous.

Les produits pétroliers

Les stocks de sécurité des produits pétroliers sont marqués par une insuffisance structurelle par rapport au niveau prévu par la réglementation qui est de 60 jours de consommation pour les produits raffinés chez les distributeurs. Les écarts sont plus significatifs pour certains produits de grande consommation comme le gasoil et le butane.

Pour le gasoil, les stocks disponibles à fin 2015 ne permettaient de couvrir, en moyenne, que 24,1 jours de consommation. Pour le butane, et pour la même année, ces stocks ne couvraient que 27,5 jours de consommation. Quant au supercarburant, les stocks disponibles ne couvraient que  4,8 jours de consommation.

Les stocks de fuel chez les distributeurs présentent la situation la plus critique avec des niveaux ne dépassant pas cinq jours de couverture en 2015. Sachant que ce produit est utilisé essentiellement dans la production de l’énergie électrique et dans certaines industries. Un écart également significatif est enregistré pour les stocks de carburéacteur (carburant des avions) qui ne présentaient que 19 jours de consommation à la fin de la même année.

A noter que dans plusieurs cas, à l’intérieur de la même année, les stocks atteignent des niveaux critiques ne dépassant pas 10 jours de consommation pour certains mois, et l’insuffisance des stocks de sécurité est corrélée à une insuffisance des capacités de stockage.

Et depuis l’été 2015, le marché national est approvisionné entièrement par l’importation de produits raffinés, ce qui accroit son exposition aux aléas du marché international et fait que les capacités de stockage se trouvent diminuées de celles disponibles, jusqu’à cette date, chez le raffineur local.

Les produits alimentaires

Le blé tendre. Durant les dernières années, les stocks de blé tendre ont globalement présenté des niveaux permettant l’approvisionnement normal du marché national. En 2015, le stock moyen a été de 14,9 MQx pour un écrasement moyen mensuel (représentant la consommation en ce produit), de près de 4 MQx, ce qui offre une couverture de plus de 3,5 mois d’écrasement.

Cependant, des fluctuations significatives sont régulièrement enregistrées entre les mois de la même année. Ainsi, les stocks de blé tendre sont, généralement, marqués par des périodes de  grand stockage coïncidant avec la période des récoltes et des périodes de chute des stocks durant les mois précédant la production nationale. A titre d’exemple, le mois de décembre 2015 a enregistré un stock de 7,6 MQx couvrant moins de deux mois d’écrasement.

Le stockage des céréales est, en général, marqué par un nombre élevé d’opérateurs (280 organismes stockeurs, 30 importateurs et 164 minoteries industrielles) avec des modes traditionnels et d’autres modernes. Cette situation rend le suivi et le contrôle des stocks chez ces opérateurs plus difficiles et...

moins précis.

Le sucre. Pour le sucre, l’obligation de stockage est fixée par la réglementation depuis 1996 à un mois de consommation. Elle concerne les producteurs sucriers, les raffineurs de sucre brut et les importateurs de sucre raffiné. Ces dispositions ont été établies à une époque où le secteur industriel sucrier au Maroc comptait différents opérateurs. Or, depuis 2005, ces derniers sont privatisés et regroupés en un groupe devenu l’opérateur unique dans cette activité.

La situation des stocks de sécurité en sucre montre que les disponibilités chez l’opérateur dépassent en général l’obligation de stockage. Ainsi, en 2015, le stock disponible a dépassé, en moyenne, deux mois de consommation.

Cependant, en cours d’année, le niveau des stocks connait des fluctuations significatives avec des périodes de fortes réserves correspondant, en général, à la période estivale et une phase de faibles réserves coïncidant avec la période hivernale et s’étalant jusqu’au début du printemps. Le mois d’avril enregistre systématiquement le niveau de stocks le plus faible.

Les produits de santé

Les médicaments. Les caractéristiques des stocks de sécurité de médicaments sont fixées, depuis 2002, par la réglementation qui a prévu pour les établissements pharmaceutiques un niveau des stocks qui doit être égal au quart du total de leurs ventes en spécialités pharmaceutiques au cours de l’année précédente. Concernant les établissements assurant exclusivement le dépôt et la répartition des spécialités pharmaceutiques fabriquées à l’avance, ils doivent détenir un stock égal au 1/12 du total de leurs ventes réalisées l’année précédente.

La réglementation relative aux stocks de sécurité des médicaments est marquée par un manque de précision de certaines dispositions relatives aux produits concernés par le stockage de sécurité comme elle ne couvre pas certains produits essentiels tels que les dispositifs médicaux.

Ce système rend le suivi des stocks de médicaments difficile et moins efficace et ne permet pas de se focaliser sur les produits les plus critiques. En conséquence, il a été constaté que peu d’opérateurs se conforment à l’obligation de déclaration prévue à cet effet. Il est à noter, cependant, que le ministère de la santé a déployé une plateforme informatique pour la déclaration des stocks et leur suivi visant à pallier cette insuffisance.

Les produits sanguins. Ils ne font pas partie des produits soumis aux obligations de stockage de sécurité. En fait, la législation et la réglementation en matière de dons de sang ne prévoient pas de dispositions relatives aux stocks de sécurité en produits sanguins déterminant le niveau des stocks, leur nature, leurs détenteurs, leur répartition…

La situation des stocks de sang au Maroc montre que leurs niveaux sont encore limités par rapport aux besoins et ne permettent pas de renforcer la sécurité d’approvisionnement en ces  produits. En dépit d’une progression significative enregistrée depuis 2010, leur développement reste insuffisant et les dons ne dépassent pas 0,9 % de la population. Ce niveau reste en deçà de celui enregistré dans la plupart des pays et des niveaux préconisés par l’OMS. Cette dernière préconise, en effet, que pour satisfaire les besoins d’un pays, il est généralement recommandé que 1 % à 3 % de la population donne du sang.

De même, en tant que pays à revenu moyen, le Maroc reste encore au-dessous de la moyenne de cette catégorie de pays qui réalise en moyenne 1,17 % de dons.

Recommandations de la Cour des Comptes

En vue d’instaurer un cadrage global du système de stockage de sécurité, il est proposé d’instituer une instance qui réunirait les différents intervenants dans ce système. Son rôle serait de concevoir et d’assurer l’adaptation continue d’un cadre global, intégré et cohérent relatif à la prise en charge la plus optimale de la problématique du stockage de  sécurité dans ses différents aspects et pour toutes les catégories de produits.

Il s’agit particulièrement de réfléchir sur le cadre juridique adéquat, les produits concernés, le mode de stockage entre les secteurs privé et public, du financement des stocks et des capacités de stockage, la définition des niveaux de stocks, la relation de ce système avec les autres instances de prévention et de gestion des risques.

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