Essai d’oraison funèbre…, par Noureddine Miftah

Essai d’oraison funèbre…, par Noureddine Miftah

Je ne trouve pas mes mots, ou alors des mots si insignifiants, pour exprimer ce qui s’est passé à Paris en cette soirée du vendredi noir. Je me sens particulièrement concerné car les fondements de cette action barbare qui a emporté la vie de 130 personnes et occasionné des blessures à plus de 350 autres viennent d’une idéologie qui prétend son appartenance à l’islam…

Et je suis un musulman, un croyant déchiré et tiraillé entre ses convictions et ces types qui endossent ces mêmes convictions. Je suis concerné jusqu’à l’écœurement, impliqué jusqu’à la nausée, parce que je partage avec ces assassins la couleur de peau, la langue et peut-être même suis-je de la même race qu’eux.

Je me trouve au cœur d’un débat sociétal qui tourne sur l’identité de ces meurtriers, et je comprends que les chagrins jaillis comme des volcans et la colère légitime qui a éclaté en arrivent à des extrêmes. Je me retrouve dans ces Corans que l’on brûle, et aussi dans ces mosquées où les imams se doivent désormais d’appeler discrètement, en chuchotant, à la prière. Je suis triste pour ces enfants marocains, algériens ou, plus généralement, arabes qui devront de ce vendredi 13 novembre supporter les regards obliques, inquisiteurs et accusateurs de leurs petits camarades à l’école.

Je suis mortifié par l’assassinat de la beauté de Paris, même provisoirement. Je pleure de voir à quoi en a été réduit cet islam et cet arabité… Et bien qu’il ne faille jamais généraliser, je peux dire que la partie dépravée et déviante des cerveaux de ces cinglés de la religion, aussi petite soit-elle, quand elle explose, elle nous atteint tous, elle nous mortifie tous, elle nous tue tous, au sud de la Méditerranée, au Moyen-Orient et même au nord, en Europe… cette Europe qui, dans notre imaginaire collectif, est un eldorado mais qui devient un enfer du fait et de l’acte de cette chose complexe appelée Daech et dont les lettres arabes formant l’acronyme peuvent aussi signifier « destruction massive des cerveaux ».

Quelle alternative nous proposent-ils quand ils s’expriment au nom de notre religion ? Serait-ce le remplacement de Paris par Raqqa (capitale du groupe autoproclamé « Etat islamique ») ? Ou le changement de la Seine en ce fleuve de sang qui coule en Mésopotamie ? Le remplacement du Louvre par un musée des têtes coupées ? Le remplacement  de la coexistence des races et des religions par l’extermination de populations entières dans les villages, pour la seule et unique raison que tous ces gens ne sont pas sunnites ? Le remplacement de femmes respectables et honorables par des marchandises violées la nuit et violentées le jour au nom « des esclaves qu’ils possèdent » ? Le remplacement des grands et beaux boulevards et de leurs visages souriants par la laideur des gravats et des ruines, par la hideur des barbes teintées de rouge, rouge comme le sang, et par l’horreur des burqas ?

Est-ce donc pour ce projet sociétal que vous voulez que l’on vous trouve des excuses et des justifications pour ce que vous avez commis ? Serait-il donc indispensable que Rome ressemble à Sanâa, que Paris soit comme Bagdad et Londres à l’image de Damas en ces temps de plaies ouvertes dans nos capitales après l’automne arabe, pour que nous puissions crier victoire au nom de l’islam et que nous puissions clamer notre triomphe contre l’injustice et l’adversité ? Ne serait-ce pas l’exact contraire qui serait vrai ? Ne vaudrait-il pas mieux que Tunis œuvre à devenir comme Vienne, et que Le Caire ressemble à Barcelone et Tripoli soit à l’image de Zurich, afin que le bonheur légitime soit au rendez-vous sur cette terre, sachant que la vie ici-bas est la seule chose palpable que nous connaissions en attendant le passage dans l’au-delà ? Le bonheur est-il possible sans valeurs ? Et nos valeurs, en cette rive sud...

de la Méditerranée, seraient-elles meilleures que celles du nord, malgré la religion, les prêches, les barbes et ce que l’on présente comme une morale ?

Ils ont frappé dans la belle Sousse de Tunis, puis ils ont frappé aussi au Sinaï quand ils ont abattu un avion avec 200 passagers à son bord, des Russes grands et petits dont le seul tort est d’avoir été en villégiature à Sharm es-Sheikh en Egypte… Ils ont frappé à Ankara, à Beyrouth et à Paris et avant cela, ils ont égorgé des gens face aux caméras dans des scènes qui ont fait trembler les montagnes avant même que de heurter les esprits des humains. Ils n’avaient qu’un seul sujet de débat sur lequel ils ne s’accordaient pas : la lame électrique qui tranche les gorges est-elle haram, puisqu’inventée par les « mécréants » ?

Sommes-nous vraiment de la même communauté humaine et religieuse que ces types ? Portons-nous les mêmes noms qu’eux ? Nous alimentons-nous de la même manière ? Non, je ne mentirai ni ne me fourvoierai en affirmant que ces gens n’ont ni religion ni race ni communauté, mais plus leur barbarie augmente et plus lourde à porter sera pour moi mon appartenance, et c’est là la vérité crue et cruelle.

Désormais, si je suis dans un avion et que les gens me regardent de travers, je ne pourrais pas leur en vouloir, de même que je comprendrais ceux qui me toiseraient avec méfiance et effroi si j’entre dans un café ou un troquet. Je ne me formalise pas plus des décisions de François Hollande qui a ramené l’une des plus anciennes démocraties dans le monde à l’âge du pouvoir sécuritaire. Je n’en voudrais pas aux gens de nourrir de la haine pour les assassins de leurs enfants, de leurs mères, de leurs pères, de leurs oncles, amies et petites amies…

… mais mon cœur pleure et saigne à la pensée du calvaire à venir de nos émigrés qui sont devenus les otages des actes et agissements de terroristes qui sont supposés être des nôtres ! Des jours pénibles les attendent, aussi pénibles que les actes commis. Et, au final, tout le monde est victime… Tout éclat de Lumière est une victime, l’idée religieuse est une victime, les émigrés sont des victimes, les premières victimes, celles qui sont le plus exposées, les valeurs supérieures des humains sont aussi des victimes, et en premier la coexistence et le droit à la vie.

« Ô toi, cette nation que le monde raille pour son ignorance », disait al-Moutanabbi. Que dirait ce poète arabe du 3ème siècle de l’Hégire s’il était encore parmi nous ? Ô toi, cette nation qui fait pleurer le monde, peut-être ?... Des larmes sur la barbarie et des larmes pour la sauvagerie… Combien d’années-lumière nous faudra-t-il à présent pour faire oublier ces abjections et les rayer de nos cartes et de notre identité ?

Il nous faut maintenant adapter notre culture aux fins de nous arrimer au système de valeurs universelles sans exceptions et sans spécificités… Il nous faut cesser, au nom de la religion, de couper la poire en deux au nom de la modération – ainsi que l’a affirmé un extraordinaire personnage après les attaques de Paris… Il nous faut aspirer à une religion revisitée et renouvelée, adaptée à notre époque… Il nous faut considérer la liberté comme notre seconde religion. Il nous avorter dans l’œuf les entreprises terroristes avant que ces œufs ne pondent des atrocités et il nous faut veiller à cela plus, bien plus, énormément plus que de surveiller qui ou qui n’a pas accompli sa prière de la mi-journée, occultant l’intégrité et négligeant la raison…

Nos cœurs pleurent pour les victimes et nos pensées sont pour Paris et Beyrouth et Ankara et Moscou… Quand à nos esprits, ils sont ravagés par l’abjection que nous avons vue… et toutes mes excuses pour ces pâles condoléances, pour cette oraison atone…

Al Ayyam

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