Sommes-nous véritablement dans le monde arabe ?, par Sanaa Elaji

Sommes-nous véritablement dans le monde arabe ?, par Sanaa Elaji

Lors de sa dernière édition, le forum d’Asilah a organisé un colloque qui s’est prolongé trois jours durant avec des débats articulés, entre autres, autour du thème : « Les arabes, être ou ne pas être ? ». Les discussions ont été animées par des hommes politiques, des diplomates, des chercheurs venus d’ici et d’ailleurs, d’Egypte, d’Irak, du Yémen, du Koweït, de l’Arabie saoudite, de Mauritanie… Alors que j’écoutais les interventions des uns et des autres, je m’interrogeai : « Pourquoi persiste-t-on à parler de cette région comme si elle était homogène ? ».

En effet, que cela soit sur le plan politique, économique, historique ou encore social, quels liens peut-on trouver entre, par exemple, l’Algérie, le Qatar, le Maroc, l’Egypte et le Koweït ? Il existe certes des points de rapprochement mais, globalement, les parcours et l’histoire de ces contrées sont fort différents. Aussi, parler « des hommes politiques dans le monde arabe », ou « des médias dans le monde arabe » ou « de la femme dans le monde arabe » sont des non-sens… Observons les détails,  méditons-les et nous comprendrons aisément pourquoi. Cela ne signifie bien évidemment pas qu’il faut récuser tous les éléments de convergence entre ces pays mais il est tout aussi évident que la région dite arabe n’est nullement homogène, pas plus qu’elle ne constitue un bloc compact.

J’ai alors posé une question sur la diversité identitaire au sein de chaque pays, donnant pour exemple le cas du Maroc et expliquant qu’en tant que marocaine, mon identité est arabe et musulmane certes, mais aussi amazigh, africaine, hébraïque, méditerranéenne, maghrébine… Alors pourquoi circonscrire mon appartenance au monde arabe et islamique seulement ? J’ai précisé que je préfère l’expression « Moyen-Orient et Afrique du Nord » à celle du « monde arabe » car cette dernière exclut de fait, par sa formulation même, les confluences amazighes, kurdes, assyriennes et autres… Précisons également que cela s’applique aussi à l’expression « monde musulman » car elle exclut les composantes juives et chrétiennes de cette région du globe. J’ignore ce que j’ai pu dire, ou l’erreur que j’aurai commise, pour que les participants au colloque estiment que mon intervention était une  défense acharnée de l’amazighité, alors même que j’ai cité d’autres langues et cultures que l’amazigh. Ai-je donc « fauté » sur le plan de l’expression ou alors, à l’inverse, le débat sur la diversité culturelle, et bien que plusieurs s’y engagent volontiers, du moins verbalement, n’est pas encore véritablement inclus dans notre conception des choses ?

Les noms et appellations ne sont pas attribués de façon gratuite ou encore arbitraire… Ils comportent en effet des éléments communautaires exclusifs, voire discriminatoires ; et ceux qui estiment que nous généralisons aussi en parlant des Européens commettent une erreur, car « l’Europe » étant avant tout un concept géographique, elle ne représente pas une appartenance ethnique, à l’inverse de la portée linguistique de l’expression « monde arabe » qui, elle, porte effectivement une connotation d’appartenance. Que le Maroc appartienne à l’Afrique ou la Syrie à l’Asie n’est pas identitaire alors que prétendre que le Maroc, l’Egypte, l’Irak ou la Syrie appartiennent au monde arabe ou musulman est exclusif des autres composantes de l’identité de ces pays.

Certains participants au colloque m’ont demandé si j’étais amazigh. J’ai répondu que, officiellement, je suis d’origine marocaine arabe. Mais j’ai précisé que la diversité au Maroc implique que le Marocain, globalement, est dans l’incapacité...

de trancher sur le fait qu’il puisse être entièrement arabe ou amazigh. La question qui m’a été posée ne revêt donc pas une grande utilité, et cela n’est nullement une défense de l’amazighité de la part d’une Marocaine amazigh… Je ne défends pas tant l’amazighité que la diversité identitaire au Maroc.

Et cette pluralité est en soi une richesse aussi bien pour le pays que pour la société ; à l’inverse, le déni de cette même pluralité est un appauvrissement culturel et, évidemment et conséquemment, un danger aussi. Aujourd’hui, notre constitution a tranché la question en entérinant la diversité puisqu’elle évoque les composantes identitaires marocaines que sont l’arabité, l’islam, l’amazighité, l’africanité, la culture sahraouie hassanie, ou encore la culture hébraïque ou méditerranéenne.

Par ailleurs, nous nous rappelons de l’universitaire Mohamed Arkoun qui parlait, lui, de « ce qu’on appelle le monde musulman » car les pays concernés abritent également des communautés chrétiennes et juives. Comment peut-on donc renier leur présence, leur existence, ne serait-ce que sur le plan linguistique, au niveau de la dénomination ? De quelle façon un Kurde, un Amazigh, un Juif ou un Chrétien pourrait-il sentir une appartenance à cette région qui l’exclut dans son appellation ? Et par ailleurs, les cultures de ces derniers, qu’ils le veuillent ou non, sont imprégnées de composantes arabes et islamiques car elles cohabitent avec ces communautés.

Aujourd’hui, bien qu’ils ne soient absolument pas concernés par le jeûne du mois du ramadan,  le Juif marocain et le Chrétien copte égyptien n’en sont pas moins imprégnés par ce rite religieux musulman car il est intégré dans leur culture et rythme leur vécu quotidien. L’Amazigh, le Kurde et l’Assyrien sont également des Arabes, du moins dans la langue employée, dans l’art et dans une grande partie de la culture. Et donc, nous en sommes tous là à être imprégnés de toutes ces confluences culturelles et appartenances communautaires qui interagissent entre elles, au quotidien, modelant nos vies et imprégnant nos traditions. Si nous les acceptons, elles nous enrichirons, mais si nous les récusons, nous courons à notre perte – et le mot n’est pas abusif.

Et évidemment, en ce qui me concerne, je ne renie ni n’exclue les éléments arabes et musulmans de ma culture, tant leur importance est grande. Une grande partie de notre identité en relève, mais il y a d’autres éléments à prendre en considération… Il serait dangereux, au Maroc et ailleurs, d’ignorer les nombreuses dimensions de l’identité nationale, au profit d’autres. Ayant agi de cette manière, nous entendons aujourd’hui évoquer la possibilité d’éclater l’Irak en trois régions, puis en trois Etats : le kurde, le sunnite et le chrétien. Que faire alors des Kurdes de confession musulmane sunnite ? Et quel sort réserver aux Yazidites ou encore aux Chiites ?

Redisons-le encore une fois, une fois de plus… La démocratie n’est pas la dictature de la majorité ; la démocratie est la gestion saine de nos divergences politiques certes, mais aussi de nos différences communautaires, religieuses et culturelles. Je conclurai ici, comme je l’ai fait à Asilah, par cette belle citation de Ziad Rahbani : « Cinq minutes après ta naissance, ils auront décidé pour toi ton nom, ta nationalité, ta religion et ta communauté d’appartenance… et toi, ensuite, tu passeras ta vie durant à défendre des choses et des idées que tu n’auras finalement jamais choisies »…

Al Ahdath al Maghribiya

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