(Billet 937) – Guerre à Gaza, quel type de conflit est-ce ?
Charles de Gaulle disait une fois, avec son sens de la formule, que « vers l’Orient compliqué, (il volait) avec des idées simples ». La simplicité n’a pas fonctionné, n’a jamais fonctionné, mais l’Orient, et le Moyen-Orient en particulier, est effectivement compliqué. Les solidarités ne sont plus celles que l’on croit, les valeurs humaines sont à géométrie variable, et le conflit, contrairement à ce que l’on pense, n’est pas tant entre Israël et le monde arabe qu’entre ce même monde arabe et l’Occident. Compliqué, en effet, et la simplicité n’a pas plus fonctionné du temps de de Gaulle qu’elle ne fonctionne aujourd’hui.…
1/ Israël au-dessus des lois internationales. Quand le conflit israélo-palestinien entre dans l’enceinte de l’ONU, le droit international en sort ; il résiste certes un peu avant, mais il sort quand même. Comment du reste pourrait-il y prospérer, ou juste y rester, alors même que les présidents et premier ministre de trois membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU ont été péleriner en Israël pour présenter, chacun à sa manière, leurs condoléances, leur sympathie, leur empathie et leurs chargements d’armes ? De quel droit pourrait-on parler alors que les vetos pleuvent en rafales dès lors qu’il s’agit de condamner, ou simplement réprimander, Israël, pour des actes qui auraient valu la décapitation puis la potence à n’importe quel autre dirigeant du monde ne disposant pas de l’arme nucléaire ?
En 2021, l’ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU Gilad Erdan, visiblement courroucé contre un rapport du Conseil des droits de l'Homme qui condamnait les exactions israéliennes en Cisjordanie et surtout à Gaza, avait tranquillement déchiré ledit rapport à la tribune de l’Assemblée générale, lançant au monde un très viril « honte à vous ! ». Que pensez-vous qu’il arriva ? Rien.
L’Occident, à travers ses dirigeants et ses médias, défendent le droit d’Israël à exister. C’est leur droit, et c’est celui d’Israël à exister, mais les autres peuples ont également le droit de simplement vivre. Or cela leur est semble-t-il dénié.
2/ Le soutien des pays arabes aux Palestiniens. La question se pose ici de savoir s’il s’agit d’une solidarité confessionnelle ou d’un soutien culturel. La question mérite d’être posée car si le soutien se fondait d’abord sur la religion, l’extraordinaire émotion à laquelle on assiste aujourd’hui dans le monde arabe se serait également manifestée à l’égard des Rohingyas ou encore des Ouighours. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas le cas.
La rancœur irait donc contre les Israéliens, comme juifs. On pourrait penser que c’est de l’antisémitisme… mais alors comment expliquer que les Accords d’Abraham n’aient pas suscité de violentes réactions des opinions publiques arabes ? Comment expliquer que dans des pays comme le Maroc, musulmans et juifs ont de tous temps cohabité en bonne entente et intelligence, et que cela se poursuit encore aujourd’hui, malgré la guerre et les tueries mutuelles ? Et comment expliquer que juifs et musulmans aient vécu ensemble des siècles durant sur cette même terre de Palestine aujourd’hui disputée ? La rancœur ne va donc pas contre le judaïsme comme religion,
mais contre le sionisme en tant qu’idéologie, une idéologie – fait aggravant – soutenue, quoi qu’elle fasse et quel que soit le nombre des gens massacrés, par un Occident encore meurtri par le remords de l’Holocauste du 20ème siècle et rongé par le souvenir des pogroms des siècles passés. L’Histoire se répète, avec juste un changement de l’identité des victimes, hier les juifs aujourd’hui les musulmans… et l’Occident fidèle à son rôle de virtuose des pogroms.
3/ La discrétion des pays musulmans non arabes. On aura relevé le silence, ou au moins la retenue des grands pays musulmans non arabes, Iran et Turquie exceptés, face au massacre en cours à Gaza. Quelques milliers de manifestants en Afghanistan et au Pakistan, et puis c’est tout ; pas de réactions virulentes des diplomaties des grands pays musulmans d’Asie du Sud-est. La question palestinienne est d’abord une affaire culturelle, arabe, et aussi de proximité régionale et de calculs géostratégiques.
4/ Conflit israélo-arabe, comme on dit, ou occidentalo-arabe ? Diabolisation systématique, concertée et organisée (Hamas méthodiquement taxé de « terrorisme », mot devenu élément de langage incontournable en Occident), déshumanisation des victimes palestiniennes depuis toujours, contrairement aux victimes israéliennes du 7 octobre, UE et Etats-Unis qui font bloc pour soutenir Israël, ignorant totalement les Palestiniens (hormis quelques mots de convenance et de circonstance)… et en France, les choses sont allées jusqu’à laisser dire dans les médias et dans la bouche de certains politiques que « Allahou akbar » est un cri de guerre, stigmatisant les millions de musulmans du pays qui en font profession de foi.
Un climat de défiance à l’égard des musulmans, et des arabes en particulier, s’est installé dans les médias et chez les dirigeants ouest-européens et américains, montrant que quelles que soient l’identité ou l’idéologie des maîtres de Tel Aviv, ces dirigeants s’aligneront sur la politique d’Israël. Or, le monde arabe n’est pas antisémite, comme le montrent les Accords d’Abraham et les rapprochements progressifs avec Israël, il est pro-palestinien et désireux d’équité, comme l’indique la levée de boucliers contre la flagrante et préoccupante complicité occidentale dans les massacres à Gaza.
Et à l’inverse de ce qui se produisait autrefois, aujourd’hui, les pays arabes ont bien plus d’influence, d’opulence et d’autonomie par rapport à l‘Occident. Celui-ci devrait en tenir compte, en développant une vision d’avenir à long terme plutôt que de s’inscrire dans un opportunisme électoral immédiat. Soutenir et comprendre le terrorisme israélien et s’acharner contre celui du Hamas sans le comprendre aura un coût pour l’Occident.
Le pasteur américain James Freeman Clarke disait au 19ème siècle que « la différence entre le politicien et l'homme d'Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération ». La question est de savoir si l’Occident est encore capable d’enfanter des hommes (ou femmes) d’Etat, car le monde arabe, dans le Golfe, commence à en avoir.
Et face à la complexité de ce conflit qui ressemble à un choc de civilisation, les idées simples ne seront pas la solution.
Aziz Boucetta