(Billet 921) – Code de la famille, peut-on raisonnablement compter sur le gouvernement ?
Ce mardi 26 septembre, 48 heures avant la fête d’al Mawlid, le roi Mohammed VI, descendant du Prophète, a adressé une lettre au chef du gouvernement Aziz Akhannouch pour qu’il s’active et active ce que le communiqué qualifie de « décision royale » sur la (nécessaire) révision du Code de la famille. Cet appel à revoir le texte avait été formulée dans le discours du Trône de juillet 2022. Depuis, plus rien, d’où la lettre de rappel. Il est cependant raisonnablement permis de douter de la capacité de nos institutions gouvernementale ou parlementaire d’arriver à quelque chose de tangible, d’où le probable recours à une commission royale, dans quelques mois.
Il semblerait en effet que rien ou presque n’ait été entrepris depuis ce discours royal de 2022, pourtant l’un des plus solennels prononcés par le roi. Pourquoi ? La raison est simple : il faut une posture, une envergure politique, qui n’est de toute évidence pas celle du chef du gouvernement, technocrate en chef d’une équipe grandement peuplée de technocrates.
Or, une telle révision d’un tel Code requiert un bagage idéologique et une approche éminemment politique car, en effet, en juillet 2022, le roi avait précisé qu’il ne peut « autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels ». Fort bien, le roi est dans son rôle de commandeur des croyants et doit faire avec les contraintes de ce statut. Mais dans le paragraphe suivant, le souverain avait souhaité que « cet élan réformateur soit mené en parfaite concordance avec les desseins ultimes de la Loi islamique (Charia) et les spécificités de la société marocaine (et qu’il) soit empreint de modération, d’ouverture d’esprit dans l’interprétation des textes, de volonté de concertation et de dialogue, et qu’il puisse compter sur le concours de l’ensemble des institutions et des acteurs concernés ».
« Spécificité marocaine », « modération », « ouverture d’esprit », « interprétation des textes », « concertation » et « dialogue »… avec ces mots et expressions, tout est dit et la feuille de route est tracée, un véritable boulevard de réforme pour celles et ceux qui veulent (et peuvent) le voir. Si le roi, commandeur des croyants, ne peut s’autoriser à tout faire, il place le débat au niveau institutionnel, gouvernemental et parlementaire. Et dans sa lettre adressée hier au chef du gouvernement, il détaille les personnes (morales ou physiques) appelées à consultation et concertation : le CNDH, le Conseil Supérieur des Ouléma, et l'Autorité gouvernementale chargée de la solidarité, de l'insertion sociale et de la famille, en plus des instances et acteurs de la société civile, des chercheurs et des spécialistes.
La problématique de la parfaite égalité du genre est très large, et ne se réduit pas seulement à la question épineuse de l’héritage. La solution
à cette problématique passe par un changement d’état d’esprit, la nomination de juges et d’adoul qui vivent au 21ème siècle et pas dans le calendrier de l’Hégire, en retrait de six siècles. Si les services de police se sont résolument féminisés par l’esprit et dans le fait, il n’en est pas encore de même pour les corps judiciaire et parajudiciaire. Mariage et divorce, droit de garde et égalité de salaires, et même la question du testament portant sur le tiers des biens de la personne défunte, tout cela ne relève pas de versets coraniques explicites.
Tout est question d’interprétation, et l’interprétation porte aussi bien sur le texte coranique, dont l’explication et l’exégèse dépend des écoles théologiques et varie selon les érudits de ces dernières. La civilisation musulmane a 15 siècles d’existence, et en 15 siècles, bien des discussions se sont tenues, bien des débats, d’écrits, d’analyses et d’interprétations ont eu lieu ; il faudra y puiser. Il serait absurde de soutenir l’idée que la règle générale appliquée est absurde car elle est coranique, mais il ne devrait pas être interdit d’affirmer qu’elle conduit à des absurdités (comme ces cousins et oncles éloignés d’Amérique ou d’Armorique), d’où l’impérieuse nécessité de réforme.
Ainsi donc, parlement et gouvernement devront faire montre d’audace, d’engagement, d’astuce et d’esprit politique pour convaincre les hésitants et vaincre les récalcitrants, si ceux-ci campent sur des positions idéologiques surannées. Et c’est là que le bât blesse. M. Akhannouch n’a pas d’idée sur la question, ou il ne l’a encore jamais publiquement annoncée (à l’inverse d’un Abdelilah Benkirane ou d’un Nizar Baraka), et Abdellatif Ouahbi est hâbleur, gouailleur, beau parleur mais souvent gaffeur, il a l’audace mais pas la finesse, ce qui peut l’exclure du débat. Quant aux autres, les parlementaires, et les politiques dans leur écrasante majorité, hommes ou femmes, âgés ou non, instruits ou pas, ils sont à l’image de la société qu’ils représentent, conservateurs ; ne faut donc pas en attendre des miracles, comme il n'y a pas eu de miracle pour l'assouplissement des conditions de l'avortement, en dépit des recommandations royales.
Or, pour progresser, le pays a besoin de progressistes qui bousculent la Tradition, qui relisent et interprètent les textes sacrés, qui cherchent et obtiennent le consensus, et qui œuvreraient avec conviction à donner aux femmes la place qui leur revient, celle de la moitié de la société. Et ces progressistes, femmes et hommes, ne pourraient être réunis que dans une future commission royale, comme en 2003, il y a vingt ans, le temps qu’une société change et que ses besoins évoluent.
Dans l’intervalle, l’heure sera à la mobilisation des progressistes de tous bords qui devront affûter leurs arguments, puisqu’on peut parier que les conservateurs sont déjà en train de s’organiser et d’affûter leurs « armes ».
Aziz Boucetta