(Billet 891) – Emmanuel Macron et le Maghreb, la difficile réécriture de l’Histoire

(Billet 891) – Emmanuel Macron et le Maghreb, la difficile réécriture de l’Histoire

Il faut croire que la grande tradition diplomatique française se perd… la conduite des affaires étrangères et/ou extérieures de France n’a en effet jamais été aussi malmenée que sous l’actuel président lequel, outre son approche personnelle empreinte d’une forme de désinvolture, a initié une vaste refonte de l’appareil diplomatique. Cette réforme n’est pas encore aboutie que ses résultats en sont déjà perceptibles. Négativement.

Entre un président (trop) sûr de lui et volontiers suffisant et une ministre des Affaires étrangères muselée et écrasée par sa mission et par son chef, ayant elle-même succédé à un homme ayant souvent amalgamé sa mission avec son intérêt personnel, la diplomatie française sèche, s’assèche et se dessèche. On en voit les effets, avec l’Europe, avec l’Asie, et surtout en Afrique.

L’influence et la présence françaises ont pour ainsi dire disparu en zone francophone alors même que qu’elles étaient remarquables au début du premier mandat d’Emmanuel Macron. Les deux seuls alliés encore en lien avec Paris sont l’imprévisible Abdelmajid Tebboune et le désormais fragile Macky Sall. Le rayonnement français a connu des jours meilleurs mais lointains en Afrique occidentale, des jours qui s’éloigneront encore depuis que le corps diplomatique français lui-même est en proie au doute, voire à la crise de nerfs.

Avec le Maroc, les relations officielles ne sont pas froides, ne sont pas tendues, ne sont pas en crise. Elles ne sont tout simplement pas, plus... et les relations économiques suivent la tendance, lentement mais sûrement. Rabat n’a pas d’ambassadeur en France et ne semble pas prêt d’en avoir un, et l’ambassadeur français au Maroc vit de terribles moments de solitude. Comme ledit le sénateur Hervé Marseille, « au Maroc, nous ne sommes pas reçus au parlement et dans les ministères, on est reçus dans les partis ou à domicile ». Il en va de même pour l’ambassadeur de France qui essaie des actions mais qui essuie des refus. C’est inédit.

Pour sa part, le président Macron semble avoir fait son choix de briser l’éternel et éternellement précaire équilibre maintenu par Paris entre Alger et Rabat. Sa volonté est d’inscrire son nom dans la grande Histoire, à travers la réconciliation de la France et de l’Algérie, à travers la conciliation du présent avec le passé, pour un avenir radieux et rayonnant. Les accolades succèdent aux algarades, les embrassades font oublier les macronades, mais au final, rien n’est fait, rien ne filtre, excepté une haine sourde à l’égard de la France.

Il n’était pas nécessaire de s’aliéner le Maroc pour une ou des raisons que très peu de personnes connaissent réellement, malgré la version de Tahar Ben Jelloun qui ne semble révéler qu’un élément parmi d’autres.

Aujourd’hui, le monde change, évolue, bascule,...

et tout cela s’opère à grande vitesse. Le Maroc n’échappe pas à la règle des mutations géopolitiques, et même politiques. Il se passe quelque chose dans cette région du monde, un quelque chose duquel la France est singulièrement absente. Elle semble même en avoir été sciemment bannie ! Le spectaculaire rapprochement diplomatique et l’armement avec les Etats-Unis et Israël ne peuvent à eux seuls expliquer ni justifier les incessantes et très rapprochées visites d’officiels américains et israéliens de haut niveau. La diplomatie solitaire du président Macron lèse les intérêts de la France et ruine ses perspectives à court et moyen terme et donc, forcément, à long terme dans une région qui est en quelque sorte son prolongement naturel, eu égard à l’histoire commune et à la proximité culturelle.

En France, de plus en plus de voix s’élèvent pour constater, puis contester, ce positionnement non pas français mais macronien à l’encontre du Maroc, allié traditionnel et sûr de la France. A l’exception de quelques personnalités politiques nostalgiques des années 60 et des luttes qui allaient avec, l’ensemble de l’échiquier politique français, en plus du patronat grand et petit, aspire à une reprise des relations entre ces deux vieux pays que sont la France et le Maroc.

Pour sa part, le chef de l’Etat français, qui souhaite inscrire son nom dans l’Histoire, avec le Maghreb, a fait le mauvais choix en pariant sur un pouvoir algérien duquel il n’obtiendra rien. Ciblant les 10 ou 15% de la population française qui a un lien avec l’Algérie, il ne comprend toujours pas que cette population souhaite le retour des militaires algériens dans leurs casernes et l’instauration d’un pouvoir civil. Emmanuel Macron a encore la possibilité d’entrer dans l’Histoire en prenant la décision de mettre un terme au conflit du Sahara, par la reconnaissance claire et explicite de la marocanité de ce territoire et en cessant son soutien à un pouvoir militaire algérien moribond, que la même Histoire finira, fatalement, par enterrer. En adoptant cette démarche, courageuse, M. Macron « corrigera » cette Histoire qu’il aime tant, gagnerait définitivement la sympathie du Maroc, et les intérêts qui lui sont liés, et ne s’aliènera pas pour autant, ni durablement, cette population algérienne et algérophile de France.

L’histoire des grands hommes est ainsi faite, d’actes courageux, de décisions inédites, de positionnements avant-gardistes. La question est de savoir si Emmanuel Macron en a l'étoffe, ainsi que l’aptitude à écouter sa classe politique, sa diplomatie, son patronat… la voix de la raison et la raison d'Etat. Dans l’intervalle, les relations entre Rabat et Paris continueront de se dégrader, encore plus rapidement avec la bascule linguistique et la relève des générations…

Aziz Boucetta