(Billet 879) – Une inversion de notre émigration vers l’Afrique est-elle possible ?
Le Maroc, c’est bien connu, est un pays de migrations, émetteur et récepteur de migrants. Sa position géographique, à la confluence de plusieurs ensembles civilisationnels, favorise cette caractéristique qui est la sienne depuis des siècles. Globalement, le Maroc reçoit principalement des migrants venus de son continent et les Marocains essaiment essentiellement et historiquement vers le nord, et depuis peu vers tous les continents. Une migration marocaine, plus résolue à défaut d’être massive, vers le reste de l’Afrique pourrait être conçue et favorisée.
Le propos vient d’un ancien ambassadeur marocain en terre d’Afrique, qui se reconnaîtra. Ayant longtemps vécu dans son pays d’accréditation, il entrevoit avec aisance l’installation de communautés de Marocains dans les pays africains, qu’une longue histoire lie au Maroc. Une grande Histoire millénaire qui souligne l’africanité du Maroc et qui pourrait, qui devrait même, être reprise aujourd’hui, à la lumière du récent regain d’intérêt du royaume pour son flanc sud.
Si politique migratoire il devait y avoir, elle devrait encourager nos ressortissants à aller vers le sud ; c’est certes difficile à maints égards mais cela offrirait des possibilités aux jeunes diplômés dans des pays qui en ont besoin, sans pour autant creuser le déficit marocain en termes de RH. L’Afrique est aujourd’hui le second continent d’accueil de nos ressortissants, avec 212.000 Marocains du monde, loin, très loin derrière l’Europe (4.500.000 personnes). Mais le continent est devant l’Asie (202.000) et l’Amérique du Nord (150.000). Les citoyens marocains en Afrique subsaharienne sont cependant très peu nombreux, l’écrasante majorité des 212.000 personnes vivant sur le continent étant au Maghreb, et seulement 8.000 en Côte d’Ivoire (image), 3.000 au Sénégal, 3.200 en Guinée Equatoriale, 1.700 en Afrique du Sud…
Le Maroc est aujourd’hui bien implanté en Afrique de l’Ouest à travers ses entreprises. Les secteurs bancassurance, immobilier, certains segments industriels, télécommunication, … sont solidement installés. D’autres secteurs pourraient être encouragés par l’Etat marocain à s’établir dans ces pays amis, pour s’élargir et s’étendre vers d’autres à terme. Les secteurs de l’enseignement et de la santé pourraient également trouver leur place dans des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Gabon, etc…
Le Maroc reçoit sur son sol de plus en plus d’étudiants venant d’Afrique subsaharienne et un nombre croissant de personnes venant de cette région du continent viennent également recevoir
des soins sur notre sol. L’Etat marocain accorde pour sa part des bourses aux étudiants continentaux qui suivent leur cursus au Maroc et les centres de santé, cliniques ou groupes, prospectent plus activement en Afrique francophone.
Or, en parallèle, ces deux secteurs de l’enseignement et de la santé au Maroc s’organisent et se structurent en grandes entreprises. Les grandes marques sont désormais largement implantées dans les grandes villes et deviennent de plus en plus capitalistiques. Il leur manque plus d’audace et d’esprit entrepreneurial pour « risquer » des implantations en dehors de ces grandes villes marocaines et même à l’extérieur du royaume. Dans sa politique africaine et pour que la logique de « l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique » ne soit pas vaine, le gouvernement marocain devrait penser à élaborer une stratégie africaine pour ces groupes, sur le plan fiscal certes mais aussi en matière d’accompagnement. Le financement est possible puisque les banques marocaines sont bien implantées et qu’elles connaissent aujourd’hui convenablement le tissu social des pays concernés.
Renforcer les liens avec le continent doit passer par l’incitation à l’émigration, mais ces migrants potentiels seraient plus incités à franchir le pas s’ils ont la garantie de l’enseignement national (privé…) pour leurs enfants et l’assurance de trouver des établissements de santé qu’ils connaissent chez eux. En cas de troubles sociaux et politiques dans les pays d’accueil, l’Etat marocain devra également mettre en place des plans de rapatriement en urgence, ainsi que cela a pu être fait pour la Chine en 2020, à Wu Han, ou, plus récemment, au Soudan. Nos jeunes, à leur sortie des écoles et universités, pourraient démarrer leurs carrières à l’extérieur des frontières, au sud, médecins, juristes, enseignants, commerçants et autres…
Cette émigration d’un genre nouveau pourrait s’appuyer au départ sur une politique de coopération et impliquer davantage qu’elle ne l’est déjà l’Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC), et les accords d’Etat à Etat doivent également jouer un rôle pour faciliter le flux de Marocains qui s’installeraient en Afrique.
Néanmoins, on pourrait valablement douter de la capacité et même de la volonté du gouvernement marocain à mettre en place une telle stratégie, l‘Afrique étant le parent pauvre de sa politique et préoccupations actuelles ainsi que le montre le peu d’engouement de nos ministres pour le continent…
Aziz Boucetta