Crise ukrainienne : les GAFAM, "une forte" consonance géopolitique

Crise ukrainienne : les GAFAM, "une forte" consonance géopolitique

La posture des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), devenus parties prenantes dans le conflit russo-ukrainien et imposant une nouvelle image de leur puissance, a eu "une forte" consonance géopolitique, a indiqué Mohamed Benabid, enseignant à la Faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales (FGSES) de l'Université Mohammed VI polytechnique.

Ces développements pourraient renforcer un peu plus le sentiment de méfiance vis-à-vis du cyberespace et font résonner en filigrane le débat autour de la gouvernance d’internet et de cyber-souveraineté, des questions sur lesquelles les grandes puissances cherchent à se redonner des espaces stratégiques, a souligné Benabid dans un Policy Brief.

« Pour l’heure, l’enlisement du conflit éloigne un peu plus l’éventualité d’un scénario consensuel international », a précisé l’expert dans ce Policy Brief intitulé « Territorialisation du cyberespace et géopolitique des GAFAM : facteurs d’influence et nouveaux risques à la faveur de la crise ukrainienne ».

Le fait de poser une partie du cyberespace en tant que lieu de conflictualité géopolitique « n’a rien de radicalement nouveau en soi », a rappelé Benabid qui a fait remarquer que la crise Russo-ukrainienne semble « en décupler l’intensité » dans la mesure où des entreprises de l’internet « prennent frontalement position » dans un conflit, cherchant à affaiblir l’une des fondations des stratégies de guerre, à savoir la maitrise des flux d’information et de la communication.

Par ailleurs, l’expert a relevé que le nouveau contexte de tensions internationales a accru les externalités négatives favorables au risque de démondialisation, un sujet en débat depuis au moins la crise de 2008, si l’on se situe à l’échelle du taux d’ouverture du commerce international et qui aujourd’hui interpelle plus spécifiquement les télécommunications.

« On le sait, les stratégies de pont-levis surfent sur


la montée du populisme et du nationalisme. Une tendance qui peut paraitre paradoxale à l’ère de l’hyperconnectivité, mais qui trouve aujourd’hui un terreau fertile avec le bannissement par Moscou de Facebook, Twitter, Instagram ou Youtube ou dans le sens inverse par l’exclusion, par l’UE, de la principale banque russe, Sberbank, du système Swift, l’un des protocoles de communication majeurs du cyberespace », a fait observer l’expert.

S’attardant sur la souveraineté dans le cyberespace, Benabid a souligné que cette question met le doigt sur « une plaie toujours béante », celle du retard des pays en développement relégués au simple statut « d’utilisateurs/consommateurs », mais qui gardent espoir de pouvoir s’insérer dans des négociations multilatérales. A condition, a-t-il précisé, que l’évolution du contexte politique et sécuritaire international n’en décide pas autrement.

Dans un monde qui restera, au moins à moyen terme, marqué par les affres de la crise Russo-ukrainienne, les chances d’un scénario optimiste « sont faibles », mais existent tout de même, a-t-il estimé, notant que ces chances supposent de considérer le cyberespace comme un bien commun international et, partant, à l’abri de tout contrôle souverain exclusif.

Pour l’auteur de ce Policy Brief, le rôle géopolitique des GAFAM conserve une réelle pertinence pour analyser la guerre Russo-ukrainienne.

S’il ne déplace pas fondamentalement le curseur sur l’issue des conflits, les guerres se gagnant d’abord sur le terrain, ce rôle, a-t-il poursuivi, pose des problématiques renouvelées dans l’histoire des relations internationales invitant à considérer des entreprises technologiques en tant qu’ « instruments de politiques étrangères » sur lesquels les grandes puissances, et pas seulement les États-Unis, fondent leur suprématie, implicitement ou explicitement.

Et de conclure que l’irruption d’une composante numérique dans la guerre russo-ukrainienne pourrait relancer la lutte pour l’hégémonie dans le cyberespace avec le risque d’accélérer sa territorialisation.