(Billet 667) – « Akhannouch dégage ! » ? Prématuré...
Après avoir prospéré en 2018 lors de la fameuse et funeste campagne de boycott de trois grandes entreprises marocaines, dont celle de l’alors ministre de (entre autres) l’Agriculture, voilà le même slogan qui fleurit aujourd’hui contre celui qui dans l’intervalle est devenu chef du gouvernement. Ssi Akhannouch est clairement, nommément et furieusement visé. Doit-il donc « dégager » ?
D’abord, la question de forme… Aziz Akhannouch est chef du gouvernement du royaume du Maroc. On peut lui demander de partir, de démissionner, de se retirer, de renoncer, mais pas de dégager ! Ce mot avait connu son heure de gloire en 2011, lors des printemps arabes devenus comme on sait des automnes brumeux et même pas pluvieux. Le « dégage » avait été lancé la 1ère fois contre le Tunisien Ben Ali, puis l’Egyptien Moubarak, ensuite d’autres, tous sanguinaires et fort peu recommandables. On peut certes reprocher bien des choses à M. Akhannouch mais pas de celles dont les peuples accablaient leurs chefs plus ou moins tueurs, volontiers tourmenteurs et tortureurs.
Ensuite, le fond. Pourquoi demander à un chef de gouvernement de partir, alors qu’il n’est là, avec son équipe, que depuis un peu plus de quatre mois, et dans une situation sanitaire, économique et donc sociale particulièrement secouée ? On peut certes lui reprocher une certaine suffisance, une inconséquence certaine, mais se prononcer sur l’incompétence est certainement prématuré.
Et ainsi que le dit son pourtant plus farouche adversaire Abdelilah Benkirane, la démission d’un chef de gouvernement après quelques mois interrogerait la stabilité institutionnelle du pays… et cela enverrait de très mauvais signaux à l’opinion publique intérieure et aux investisseurs étrangers. Aziz Akhannouch devrait cependant prendre garde à ces signaux précoces, trop précoces ! Il devrait rendre grâce à Dieu de l’absence de sondages d’opinion dans notre pays…
Par ailleurs, demander le départ du chef du gouvernement conduirait à une forme d’opacité constitutionnelle. La loi fondamentale ne prévoit pas son limogeage expressément, cela devant passer indirectement par une dissolution de la Chambre des représentants ce qui, on en conviendra aisément, plongerait le pays dans une incertitude politique et institutionnelle (sans compter le coût des
élections, entre financement et immobilisme politique). Mais rien n’interdit au chef du gouvernement de démissionner de sa fonction, auquel cas le roi devra faire une lecture interprétative de la constitution : convoquer d’autres élections, comme le suggère M. Benkirane, ou se contenter de désigner quelqu’un d’autre du RNI pour remplacer le chef du gouvernement démissionnaire ? Cela devra néanmoins attendre plus de temps que ces cinq mois passés.
Récemment reçu par le roi Mohammed VI dans le cadre d‘une réunion consacrée à l’investissement, le gouvernement s’est entendu « encourager »… les mots du chef de l’Etat ont un sens : « encourager » n’est pas « féliciter »… Le gouvernement peut donc mieux faire, et le mieux à faire pour son chef aujourd’hui, en plus de délivrer et aussi un peu se livrer, est de réfléchir.
Aziz Akhannouch devrait, donc, réfléchir à ce qui l’a conduit à semer le doute quant à ses capacités à mener un gouvernement, sur la mise en danger de ce même gouvernement (pourtant solidement doté de compétences) par ce type de campagnes, et tout le monde devrait méditer sur ce coup de semonce… même si on ignore qui se trouve à son origine, ou derrière, car il y a toujours une origine, ou quelqu’un derrière… Mais si on a déplu en 5 mois, comment durer 5 ans ? Si une contestation de 5 mois ne saurait tenir, celle d’un an ou de deux ans serait, sera, difficile à contenir.
Il n’y a jamais de fumée sans feu, de même qu’il y a rarement un feu sans raison. Le gouvernement a certes du pain sur la planche, et doit affronter une situation singulièrement compliquée, mais dans l’objectif de calmer la contestation, il devrait changer de méthode et faire montre de plus d’empathie à l’égard de toutes ces gens qui ont mal à leur pouvoir d’achat au lieu d’être dans un déni de réalité. Expliquer, communiquer et accepter d’être critiqué fait partie de cette empathie.
A défaut, le Maroc sera encore en situation de stress et de telles campagnes « dégagistes », de telles flambées de colère n’auront même plus besoin de pyromane.
Aziz Boucetta