(Billet 649) – Le Maghreb historiquement divisé, actuellement négligé…(I)
Le Maghreb… cet ensemble qui s’excite, s’agite, prend de la gîte… Trois ou cinq pays, arabes ou imazighen, géographiquement disparates, entre pays à taille moyenne, ou petite, ou ces immensités désertiques et sous-peuplées, méditerranéens ou sahariens, révolutionnaires ou évolutionnistes... Quel est cet érudit qui pourra véritablement définir cet ensemble géopolitique, socio-culturel, historico-linguistique, et quel est ce projectiviste qui pourra vraiment en définir les contours du futur ?
Plusieurs s’y sont attelé, et non des moindres, à l’envergure immense, comme Mohamed Arkoun ou Abdallah Laroui. Puis des confluences idéologiques transversales se sont invité, essentiellement celles de la colonisation française qui a tenté la manœuvre d’appropriation ethno-culturelle d’un Maghreb européen car occupé et « civilisé » (déjà !...) par l’empire de Rome.
La complexité du Maghreb émane de sa position géographique, au croisement de plusieurs civilisations, l’arabe, l’islamique, l’africaine, la saharienne, l’andalou-européenne, la chrétienne, la juive… Et cette complexité est rehaussée par les différentes interférences tout au long de l’Histoire, des Romains aux Français, passant par les Arabes et les Ottomans, entre autres...
Dans la période post-indépendance, les élites maghrébines se sont déchiré autour de l’identité culturelle et linguistique, les uns défendant l’arabe comme langue du Coran, d’autres ayant exprimé leur amazighité, pendant qu’une troisième catégorie, qui gagne en ampleur, défendait les langues vernaculaires issues de toutes les sensibilités culturelles qui ont parcouru la région. Et toutes ces sensibilités sont dans leur droit, avec la légitimité historique qui les sous-tend et l’ancrage populaire qui les renforce.
Aujourd’hui, l’Afrique du Nord politique présente plusieurs visages, deux régimes militaires autocentrés, une monarchie historique en quête de modernité dans sa tradition, une république souffrante et à la recherche d’elle-même, et même pas de régime du tout. Et cet ensemble occupe la face sud de la Méditerranée, offre deux routes de migration clandestine, abrite plusieurs mouvances terroristes, sépare une Europe dépassée par les évolutions géopolitiques des Grands d’un Sahel en proie à une reconfiguration aussi brutale qu’aléatoire.
En effet, le Maghreb, avec ses divisions, ses déchirures et ses doutes,
reste une cible de choix pour les grandes puissances désireuses de s’implanter dans cette région aussi hautement stratégique que fragile et sensible à la moindre étincelle. Les cinq pays du nord de l’Afrique présentent ce que dans le jargon militaire on appelle l’ « incertitude stratégique », sur la base de laquelle sont menées les réflexions des états-majors politiques et militaires des grandes puissances.
L’Europe semble ne pas saisir ce concept de « tampon stratégique » que lui offre le Maghreb, avec en plus cette opportunité de contact direct avec la prometteuse Afrique. Les autres puissances l’ont compris, la Chine depuis longtemps, avec ses investissements, ses infrastructures offertes et ses accompagnements financiers qui rééditent l’idée d’occupation par l’endettement. Russes et Américains paraissent l’avoir compris aussi, et l’Europe, malgré son avantage historique, laisse faire.
Alors, le Maghreb, uni ou non, convergent ou non ? Selon Arkoun et Laroui, la réponse tend vers l’affirmative, tant sur les plans historiques qu’ethnique, culturel que religieux et même, quoique certes dans une moindre mesure, linguistique. Mais les lectures des deux grands historiens anthropologues se heurtent aujourd’hui aux réalités politiques intérieures actuelles ainsi qu’aux très rapides mutations géopolitiques, aux bascules démographiques et, encore plus, aux gigantesques évolutions technologiques.
Les politiques internes sont dissociatrices des liens tissés à travers l’Histoire et des convergences culturelles et cultuelles entre les cinq pays. Les mutations géopolitiques exacerbent les tensions diplomatiques entre les Etats et les progrès technologiques favorisent les rivalités entre peuples. Quant à la démographie, elle montre une relève générationnelle de personnes ignorant l’histoire et les convergences possibles entre peuples, et ne regardant que vers l’avenir.
Le Maroc suit sa voie, l’Algérie cherche la sienne et la Tunisie s’est égarée dans le chemin qu’elle a choisi. La Libye est en perdition et la Mauritanie œuvre péniblement à exister. Dans cette « incertitude stratégique », personne ne saurait dire ce qu’il adviendra de cette région, mais ce qui demeure certain est que de son évolution dépendront les avenirs sahélo-saharien, méditerranéen et européen.
Aziz Boucetta