(Billet 642) – Le « nouveau nationalisme » du roi Mohammed VI
Sauf raison impérieuse ou présence à l’étranger, le roi Mohammed VI ne s’exprime que quatre fois par an, du 30 juillet au 6 novembre, avec pour chaque discours une thématique particulière et un contexte donné. Une parole rare mais un propos précis, et ce qui se dégage de ses derniers discours est une forme de nationalisme s’inscrivant dans la logique universelle qui, dans ce monde de plus en plus ouvert, consacre une part de plus en plus importante à la nation.
Donald Trump et son « America first », Vladimir Poutine et sa Sainte Mère la Russie, le Turc Erdogan et son nationalisme à la visibilité croissante et à l’agressivité patente, la Chine et son nationalisme retrouvé et exprimé, projeté dans ses routes de la soie, la France, « start-up nation » pour Emmanuel Macron, mais « qui n’a pas dit son dernier mot » pour Eric Zemmour, le Royaume-Uni et son Brexit ultranationaliste, la Pologne, la Hongrie, l’Iran, le Brésil, le Mali, l’Inde… Un nombre croissant de pays retrouvent le chemin de leur « nation » et trouvent les personnages emblématiques pour les y conduire.
Deux faits ont favorisé ou favorisent ce retour sur la nation, dans ce monde globalisé où tout est ouvert et aspire à s’ouvrir encore, mais où les pays se ferment : la mondialisation et la crise sanitaire. La première est une forme déguisée et masquée d’ingérences économiques, financières et donc politiques ; quant à la seconde, de fermetures de frontières à des hold-ups à grande échelle sur les vaccins, elle a montré que la solidarité et l’empathie entre nations n’est que vue de l’esprit et causeries creuses pour consommation médiatique ou expressions diplomatiques.
Le siècle qui est le nôtre sera donc nationaliste, et les prémisses apparaissent partout dans le monde, ici et là, sous des formes différentes, mais un nationalisme tantôt exacerbé, tantôt dissimulé, et toujours présent, sans cesse croissant. Et le Maroc ne déroge pas à la règle universelle…
Le royaume a connu depuis deux siècles trois grandes phases de nationalisme, dont le premier est celui de 1830 à 1912, décrit par Abdallah Laroui, orienté vers les ingérences
croissantes d’un impérialisme occidental capitaliste à la recherche de richesses minières et de débouchés économiques sur fond de destructions des sociétés colonisées. Le second lui a immédiatement succédé, avec d’abord la résistance à la présence française jusqu’en 1934 puis le relais pris par les nationalistes à partir de cette date, jusqu’en 1956.
La troisième grande phase de nationalisme semble avoir débuté voici quelques années sur impulsion du roi Mohammed VI, ainsi que le décrit le Pr Abdelhamid Benkhattab qui y voit un continuum du nationalisme d’antan du Maroc, sous une forme nouvelle. Lors d’un débat sur Medi1TV, M. Benkhattab a dit que « nous assistons à travers les discours royaux à l’émergence d’un discours nationaliste d’un genre nouveau, qui prône l’ouverture sur le monde, un nationalisme pacifique, mais doublé d’un positionnement ferme sur l’échiquier international, avec la défense farouche de nos intérêts, et le roi se situe au-devant de la scène, dans un prolongement du nationalisme marocain classique, avec un discours nouveau ». Cette position du chercheur a été relevée et soulignée par cet autre intellectuel qu’est Hassan Aourid.
L’ancien porte-parole du palais royal, fin connaisseur de l’histoire du Maroc et des arcanes de son système politique, relève les évolutions enregistrées depuis plusieurs années, de la définition constitutionnelle de ce qu’est le Marocain (arabo-islamique, amazigh, saharo-hassani, africain, andalou, hébraïque et méditerranéen) aux nouveaux défis qui l’attendent, en passant par son nouvel ancrage africain et ses alliances élargies, anglo-saxonne et israélienne, rompant avec l’exclusivité des anciennes puissances coloniales.
Il est donc temps que les chercheurs, historiens et futurologues, sociologues et politologues, anthropologues et autres, se penchent sur la question de la nation marocaine au 21ème siècle et s’attellent à définir ce que devrait être ce « nouveau concept du nationalisme » ou ce « nationalisme nouveau » selon MM. Aourid et Benkhattab. Cela aiderait à nous définir, voire nous redéfinir, à plus nous connaître et à mieux nous faire connaître dans ce monde nouveau qui est désormais le nôtre.
Pour cela, un retour académique sur la sémantique royale de ces dernières années, et surtout de ces derniers mois, s’impose.
Aziz Boucetta