(Billet 637) - Il est temps de changer notre regard sur l'Europe... et sur nous-mêmes !
Depuis quelque temps, il ne se passe pas un mois sans que surgisse un rapport, une étude, des révélations sur le Maroc, en provenance d’Europe. Cette année 2021 qui s’éteint lentement sur fond de crise sanitaire et de grandes bascules géopolitiques aura été riche en rebondissements dans les relations entre le royaume et son voisinage européen. Et le moins que l’on puisse dire est que l’Histoire coule lentement sous nos yeux et déroule son cortège de faits et d’effets.
Tout a commencé ce 10 décembre 2020, jour du fameux tweet de Donald Trump reconnaissant la marocanité du Sahara et entérinant un rapprochement entre Rabat et Tel Aviv, une alliance qui gagne en intensité de mois en mois, et qui promet de s’approfondir dans les années à venir.
Il est vrai que cette région nord-africaine, au sens large, est turbulente et tumultueuse, et elle attire aujourd’hui, de plus en plus, le regard sur elle à travers l’intérêt qu’elle procure en matière de géopolitique, de ressources minières et énergétiques, de menaces criminelles de nature terroriste ou autre. Au centre de ce regain de tensions dans cette région et d’attention portée sur elle, la rivalité Maroc-Algérie.
Il est faux de dire que les deux peuples sont frères, ils sont juste voisins, car leur contentieux est très lourd. Le Maroc tient à son Sahara et à l’intégrité de son territoire et l’Algérie, Etat et population, cherchent la fameuse autodétermination, de manière directe et agressive de la part du gouvernement, plus soft pour la population, largement ignorante des faits historiques et des enjeux européens.
En face, il y a l’Europe, et principalement ses trois pays les plus puissants, qui sont aussi nos partenaires proches et alliés privilégiés, ou le furent… En effet, France, Espagne et Allemagne multiplient les attaques et les saillies rugueuses à notre endroit.
1/ L’Espagne. Sans s’attarder sur ce vrai/faux rapport qui aurait été remis par le Ceseden Centre d’études de défense nationale) à Pedro Sanchez, il y en a eu un autre, confirmé, paru en avril 2021, et qui ne se console pas de la décision US du 10 décembre, y voyant une menace pour le royaume ibérique. Sans compter la politique espagnole d’équilibre entre Rabat et Alger qui se fonde sur un double-jeu périlleux et à ce jour improductif pour Madrid.
2/ L’Allemagne. Sa position est aussi robuste qu’un parechoc Mercedes, entre sa convocation du Conseil de sécurité après le 10 décembre, le rapport de son think tank semi-officiel sur la
nécessité de « ralentissement » du Maroc et son tropisme algérien très marqué (ce qui est de son plein droit, au demeurant). La politique allemande de la canonnière se poursuit…
3/ La France. Paris a l’esprit au Maroc et le cœur à Alger, et là réside le problème. L’affaire Pegasus durant l’été 2021 et l’acharnement du service public français à présenter le Maroc comme un Big Brother aussi malin que malintentionné dévoilent une position instable dans une région réputée pour son instabilité. La France veut le beurre algérien et l’argent du beurre marocain, en plus du sourire des deux sociétés, plutôt sceptiques face à la nature du débat politique actuellement en cours en France.
4/ Il reste nous, Marocains… sentimentaux impénitents et englués dans une lecture historique désormais passée et dépassée de relations amicales avec une Europe en général, la France en particulier, qui n’hésitent pas à condamner, épingler, dénoncer, clouer au pilori un pays pour des faits migratoires qu’on retrouve pourtant de Sebta/Ceuta à Dunkerque… Il est vrai qu’entre le Maroc et la France, l’amitié est solide et l’histoire commune ancienne, mais il est des moments dans la vie des nations où il est nécessaire de reconsidérer les choses.
Quand un Etat prend appui sur une amitié séculaire pour doper son économie, applique une politique de punition collective à travers les visas, dissimule des faits historiques pour servir des desseins géopolitiques et détourne le regard quand son allié est menacé d’agression militaire, il est alors temps de réévaluer ses relations avec lui.
Dire et redire, répéter à l’envi et s’entêter face à ce credo désormais désuet de l’interdépendance culturelle, économique et politique relève simplement d’un syndrome de colonisation toujours inconscient mais bien présent dans les esprits de bien des Marocains. Dans notre monde désormais dangereux et dans une zone explosive où une simple étincelle peut déclencher un conflit et dans lequel un Etat voisin tient l’allumette, le Maroc a besoin d’alliés sûrs et non ambivalents, aux attitudes affirmées et aux intentions confirmées d’une relation où les règles sont clairement dessinées et où chacun est gagnant.
C’est tout le mérite du nouvel axe d’alliance décidé par le Maroc, assuré de ses nouvelles amitiés mais sans préjudice pour les anciennes, si tant est qu’elles soient constructives, productives et résolument engagées dans le bien commun. Dans l’attente de confirmation, le Maroc et surtout les Marocains devraient changer de regard sur l’Europe, sur ses trois principales nations et sur leur relation avec elles.
Aziz Boucetta