(Billet 636) – Génération sacrifiée : nos enfants savent à peine lire et écrire
L’information est passée plus ou moins inaperçue, alors même qu’elle est révoltante, peut-être même effrayante. Une récente étude du Programme national d’évaluation des acquis, connu sous le doux acronyme de PNEA, dit qu’en gros, nos enfants de 10 à 15 ans maîtrisent très peu les langues arabe et française et encore moins les maths, et que les élèves du privé sont mieux lotis, bien mieux lotis que leurs congénères du service public, tout en étant eux aussi en creux de connaissances !
On le savait certes, mais quand on scrute les chiffres des langues maîtrisées, on y perd notre latin… Comment donc ces milliers d’enseignants de l’Education nationale peuvent-ils afficher de pareils résultats ? Par quel miracle ou quelle hérésie plutôt ces dizaines de milliards injectés dans notre système d’éducation ne produisent-ils que des enfants non sachants et des apprenants aux failles surprenantes ?
C’est un véritable électrochoc que doit subir notre système national et cet électrochoc, quand Chakib Benmoussa a entrepris de l’activer, il s’est retrouvé confronté à une bronca nationale le visant, l’accablant, le harcelant, voire le maudissant ! Et pourtant, on le sait, tout le monde le sait, comme on dit, aux grands maux les grands remèdes et quel autre grand mal qu’un jeune adolescent sachant vaguement écrire, balbutiant à la lecture, et s’effondrant face une équation somme toute simple. Et ce sont les chiffres qui le disent ! Et quel grand remède que de sélectionner celles et ceux qui auront en charge la formation des générations futures ?
Selon cette étude du PNEA, relevant du CSEFRS (Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique), à la fin du primaire dans le public, seul le quart des élèves affichent un niveau convenable en français et en maths, et moins de la moitié en arabe. Et à l’entrée du lycée, un collégien seulement sur 10 se débrouille en arabe, en français et dans les disciplines scientifiques ! Et dans le privé, ils sont moins de la moitié à avoir assimilé l’arabe et les matières scientifiques en fin de collège…
Que faire ? Une seule voie à suivre, la justice ! Pour dilapidation de deniers publics et mauvaise gestion dans le public et pour escroquerie sur le « service » concernant le privé. On peut même ajouter à la justice la déchéance des droits civiques car ces
responsables publics ou privés auront provoqué la déchéance de toutes une génération !...
L’affligeant niveau de nos jeunes aujourd’hui n’est pas le plus grave, car plus préoccupant encore est cette génération sacrifiée depuis 10, 15, 20 ans, que l’on peut supposer aussi faible que l’actuelle. De pleines « promotions » sont passées entre les mailles du filet et, l’accès aux grandes écoles et aux facultés scientifiques leur étant interdit, ils se sont tous trouvés une alternative et se sont retrouvés dans les facultés de droit, d’économie, de sciences humaines ou sociales en général, d’où le niveau hasardeux de nos enseignants, nos juristes, nos avocats, nos sociologues quand il y en a…
Le Maroc s’enorgueillit de ses chiffres d’alphabétisation (plus de 90%), mais ne s’est jamais vraiment ni occupé ni même préoccupé de l’illettrisme. La Banque mondiale l’a fait pour lui, indiquant en 2019 que 66 % des enfants marocains âgés de 10 ans étaient illettrés, à l’arrière-garde des pays de la zone MENA et des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure.
Ah, dernière chose… Un programme d’urgence pour l’éducation nationale avait été lancé pour la période 2009-2012. Voilà ce qu’en dit la Cour des Comptes : « S’agissant des ressources financières mobilisées en faveur du P.U, le calcul du coût réel du P.U demeure estimatif. Il a été appréhendé à partir des crédits de paiement ouverts par les lois de finances et les budgets des AREFs, pour les années 2009 – 2012, totalisant une enveloppe globale, hors masse salariale, de 43,12 milliards de DH sur laquelle les engagements ont été de 35,05 milliards de DH et les paiements effectifs n’ont été que de 25,15 milliards de DH, soit un taux de paiement de 58%, largement inférieur au taux d’exécution des budgets sectoriels constatés au niveau du Budget Général de l’Etat durant la même période ». 3% du PIB partis en fumée et toute une génération enfumée…
Et aujourd’hui, le PNEA dit que « malgré les avancées réalisées, le système éducatif marocain peine toujours à accomplir les objectifs qui lui sont assignés ». Alors quand Chakib Benmoussa décide de prendre le taureau par les cornes et d’encadrer la profession d’enseignant, il faut l’en remercier plus que l’accabler car, disons-le et répétons-le, le Maroc abrite une génération sacrifiée aujourd’hui… avec tous les périls que cela procure pour demain.
Aziz Boucetta