(Billet 632) – Le gouvernement de la rue

(Billet 632) – Le gouvernement de la rue

On ne peut que s’incliner face à la détermination de ce gouvernement à mettre en œuvre puis en place son (très) ambitieux programme. Mais on ne peut que regretter son mutisme devant les différentes broncas, qui surgissent ici et là, en raison de politiques certainement bonnes et salvatrices, mais mal expliquées, et donc mal reçues.

Que cela concerne le pass vaccinal ou l’âge limite pour les recrutements d’enseignants, les mesures semblent bonnes et utiles, en dépit des protestations et autres contestations qu’elles suscitent. Un gouvernement n’est certes pas là pour plaire, mais il doit également s’arranger pour ne pas (trop) déplaire. La rue a en effet cette mauvaise propension à se muer en ruée, quand est dépassé un certain seuil de « sacrifice ». Et quand la situation est plutôt morose, comme il est logique qu’elle le soit après près de deux ans de crise sanitaire et autant en restrictions, la rue devient nerveuse, puis frondeuse.

On peut reprocher tous les malheurs du monde aux deux précédents chefs du gouvernement – ce qui serait excessif – mais on ne peut leur dénier leur présence sur le front de la communication. Abdelilah Benkirane imposait des choses, puis osait prendre la parole et expliquer, s’expliquer, décortiquer ses décisions, avec un zeste de populisme et beaucoup de bagout, et cela passait. Pour Saâdeddine Elotmani, c’était pareil ; l’homme a dû se résoudre à bien des décisions impopulaires, mais il venait les exposer à la télévision, sur les réseaux sociaux, accordant ici et là des entretiens à des médias pas forcément amis.

Et c’est ainsi que le Maroc a pu absorber la décompensation, la réforme des retraites (même incomplète), la mise en place de l’état d’urgence… et bien d’autres mesures plutôt honnies. Les Marocains sont ainsi faits qu’ils peuvent (presque) tout accepter, pour peu qu’on leur fasse l’amitié de leur parler, de leur signifier qu’ils existent, qu’on travaille pour eux… qu’ils comptent.

Le gouvernement actuel est celui des technocrates. Ils n’aiment pas trop qu’on le leur rappelle mais la réalité est ainsi faite qu’elle a la carapace dure. Un gouvernement affichant certes bien des compétences mais composé de régaliens et de technocrates, avec une pincée de politiques vrais, purs et durs, venus là, au gouvernement, par leur lutte militante (et leur technicité, oui, oui, d’accord),...

et par le bas. Mais il n’y en a que quatre recensés, MM. Ouahbi, Baraka, Baitas et Bensaïd, les deux derniers étant chargés de la communication, mais le premier restant les bras croisés (photo).

L’attelage n’est semble-t-il pas là pour communiquer ou soliloquer, mais pour pratiquer une politique dont on ne doute pas de l’efficacité future. Seulement il y a le peuple, et le peuple a ceci de fâcheux que quand il ne comprend pas une mesure, il fulmine. Et de fait, nous avons les fulmineurs de la rue, des réseaux sociaux et des médias. Nous le disions dès le départ, un gouvernement de technocrates c’est bien, mais il présente le considérable inconvénient de la communication et surtout de l’absence d’opposition…

Et ce qui aggrave les choses est que l’opposition parlementaire se cherche encore, sans nécessairement avoir des chances un jour de se trouver. Les partis de cette opposition, encore groggy(s) par les résultats électoraux ou par leur absence du gouvernement, pansent leurs plaies, pensent en solo et fonctionnent en silos. Le PPS a bien l’intention de s’opposer mais ne semble pas encore en avoir la volonté et la hargne, l’USFP ménage l’avenir et le RNI dans la perspective d’un prochain remaniement… et Nabila Mounib fait du Mounib. Quant à l’UC et au MP, ils n’ont tout simplement pas dans leurs gènes celui de pouvoir, savoir et oser s’opposer. Leur peine fait mal à voir…

Il reste le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, brillant technocrate tombé en politique entre 2016 et 2021, montant au créneau, recevant des coups, supportant les coups du sort et résistant aux coups de boutoir de ses très nombreux adversaires. M. Akhannouch avait promis qu’il gagnerait, et il gagna, largement, incontestablement… Mais il ne semble pas avoir compris que son principal défi n’était pas de remporter les élections et de conquérir la présidence du gouvernement, mais de faire face, de tenir, de réussir. Cette fonction est très dure, et son titulaire est celui qui doit faire face à la plus grande violence.

En ces temps tourmentés et incertains, avec le pass et les enseignants aujourd’hui, autres choses demain, il appartient à M. Akhannouch d’aller au-devant de ce peuple qui l’a porté au pouvoir… avant qu’il (entre autres) ne le regrette de l’avoir fait !

Aziz Boucetta