(Billet 581) – « Le temps du Maroc » d’Abdelmalek Alaoui, à lire lentement, mais urgemment !...

(Billet 581) – « Le temps du Maroc » d’Abdelmalek Alaoui, à lire lentement, mais urgemment !...

Comment ont été prises les grandes décisions liées à la pandémie de la Covid-19 ? De quelle manière le roi Mohammed VI prend-il ses décisions, et avec qui ? Les Etats-Unis et nous, la France « en » nous ? Un récit en forme de témoignage, établi par un enfant du sérail, connaissant les choses et sachant les dire, sans trop en dire… Une chronique à 360° du règne de Mohammed VI, avec un focus sur la pandémie. « Le temps du Maroc »* est décortiqué par Abdelmalek Alaoui sur 330 pages qu’on lit d’une traite mais qu’on peut aussi prendre « le temps » de déguster…

On dit que les Marocains lisent peu, très peu, ou pas, et qu’ils écrivent encore moins, en dehors des réseaux sociaux, et tout cela est bien vrai. Et quand il leur arrive d’écrire, c’est en général sur les mêmes trames ressassant les mêmes drames. Lire un livre en forme de chronique sur la dernière année, et y découvrir tellement de choses, mérite donc d’être relevé. Ce livre, il faut donc le lire, absolument, alors achetez-le, commandez-le, voire volez-le (en pensant à le restituer plus tard, quand même…)

L’histoire commence avec la naissance du virus et l’effervescence qui a suivi, ici, ailleurs, partout, à tout moment. Et on y apprend comment le Maroc a su anticiper les choses, prendre ses précautions, puis ses dispositions, et enfin le meilleur sur un virus qui a provoqué des ravages en Europe et causé la sinistre réapparition des fosses communes à New York.

L’intérêt du livre vient de son auteur, Abdelmalek Alaoui, auteur et porteur d’une solide expertise en intelligence économique acquise sur les bancs de Sciences-Po et de HEC, mais aussi et surtout un enfant du sérail, étant enfant de Moulay Ahmed Alaoui, un personnage que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. En parlant du Maroc, l’auteur sait donc de quoi il parle, et comment en parler… d’où cette saveur particulière aux révélations inédites qui parcourent le bouquin.

L’auteur nous dit, par exemple, que dès les premiers morts en Chine, causés par ce qui ne s’appelait pas encore la Covid-19, le roi Mohammed VI avait mis sur place une cellule de veille qui surveille les évolutions du virus. Conscient de la mauvaise santé de la Santé publique, le roi prend alors une batterie de décisions pour protéger le pays de ce qui allait bousculer le monde.

Mais l’auteur, au fait de tant de choses qui ne sont pas dites, ou alors du bout des lèvres, toutes lumières allumées et toutes...

fenêtres fermées, nous en révèle une partie. Et pour ne pas « spoiler », comme disent les jeunes, le livre, rapportons seulement ces détails sur la genèse de l’accord tripartite Etats-Unis-Maroc-Israël, où l’auteur nous livre de très intéressants détails sur les trois ans de négociations qui ont précédé et rendu possible ce fameux tweet de Donald Trump, reçu avec autant de joie que d’incrédulité par les Marocains, et aussi par le monde qui s’intéresse au Maroc.

« Il y a des gens intelligents à Rabat », dit-on souvent, quand on doute du bien-fondé de certaines décisions. « Le temps du Maroc » le montre et le confirme. Si le Maroc se tient comme il le fait depuis quelques années sur la scène mondiale, cela est le résultat des profondes cogitations et encore plus fécondes réflexions qui se tiennent de réunions en conciliabules à Rabat, dans l’ambiance feutrée des salons discrets des mystérieuses demeures des puissants de ce royaume tout aussi énigmatique. Et à ce propos, Abdelmalek Alaoui nous ramène aux coulisses des relations entre Mohammed VI et Jacques Chirac, puis ses jeunes successeurs Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron… un petit tour des rapports pas toujours heureux et fluides entre le roi et Abderrahmane el Youssoufi…

Qu’Abdelmalek Alaoui ait pris sa plume pour suivre, au jour le jour, ce que nous savons tous, et qu’il ait ensuite pris sur lui-même de décrire tout cela, en l’agrémentant de petits clins d’œil, de fines indiscrétions et d’inédites informations, en dit long sur ce que les non Rbatis appellent « la vie à Rabat ». Alors, partant de cela, ce livre doit souvent être lu au second degré, quelquefois entre les lignes, pour apprendre des faits et comprendre leurs effets. L’auteur semble s’en délecter, lui qui a le devoir de réserve de la « famille » mais qui a les mains libres de celui qui n’est pas aux commandes. Un prudent rappel historique des événements du Rif ici, un petit coup de griffe pour les « grands » du moment là…

Un récit donc, du règne et la gestion de la pandémie, parfois romancé, au style limpide et parfois faussement neutre, aux révélations assourdissantes, qui gagnerait à être lu. Et une fois lu, le livre permettra de comprendre ce qui se produit aujourd’hui, et même ce qui pourrait advenir dans et pour cet étrange pays aussi atypique que stratégique.

Aziz Boucetta

* « Le Temps du Maroc, 2020-2021, Résilience et émergence du royaume chérifien », Abdelmalek Alaoui, Editions la Croisée des Chemins. (Et cédé pour la modique somme de 110 DH ou, étrangement, 20 euros).