(Billet 536) - En Espagne, ils ne font même plus semblant...

(Billet 536) - En Espagne, ils ne font même plus semblant...

Une relation plus que millénaire lie les deux royaumes d’Espagne et du Maroc, et c’est sans doute pour cette raison que, paradoxalement, ces relations sont toujours perturbées, avec des hauts et des bas, des combats et parfois des coups bas. Entre Madrid et Rabat, c’est l’alternance entre la lune de miel et la lune de fiel. Nos voisins septentrionaux veulent invariablement avoir la main sur ce qui se passe à leur sud. Et cela pose quelquefois le problème de l’indignité et de l’indignation…

Tenez, prenons un exemple très parlant… En décembre dernier, interrogé sur les cas de Sebta et Melilla, que chacun sait être des villes marocaines occupées par l’Espagne, le chef du gouvernement Saâdeddine Elotmani avait répondu qu’une discussion devrait s’ouvrir un jour ou l’autre sur l’avenir des deux cités. Tollé en Espagne, et convocation de notre ambassadrice à Madrid… qui a très logiquement confirmé le propos de son supérieur.

Récemment, les Espagnols, de Melilla cette fois, ont superbement rappelé que le ridicule ne tue pas. En effet, ils ont demandé à leur gouvernement de saisir le Conseil de l’Europe pour obliger le Maroc à traiter avec la ville. En somme, ils veulent être sur le sol marocain, à nos frais !

Ou zid ou zid…

Aujourd’hui, l’Espagne s’inscrit dans l’humanitaire, mais à deux vitesses. Centres de concentration pour les migrants, salle de réanimation pour l’encore chef du Polisario Brahim Ghali. Plus… Les Espagnols admettent l’homme, sous un faux nom, obligeamment proposé par les Algériens, bien qu’il soit recherché par les juges espagnols pour entre autres, viols, crimes de guerre, séquestration... La justice en Espagne est donc certainement indépendante, mais pas d’Alger.

Le Maroc est valablement irrité, mais surtout déçu. L’Espagne est historiquement responsable de la question du Sahara et connaît parfaitement les dessous de cette affaire, mais elle...

maintient une position trouble et opaque, tantôt pro-Rabat, parfois pour Alger. La vox populi marocaine caresse alors l’idée d’accueillir l’indépendantiste catalan Carles Puigdemont. C’est abusif et certes et certainement pas à l’ordre du jour officiel de Rabat, mais que nos amis espagnols imaginent un instant que le Maroc fasse cela, ou qu’il eût accueilli voici 20 ans des activistes basques… Madrid aurait eu raison de douter de la sincérité du Maroc. Et c’est ce qui se produit avec Brahim Ghali.

Aujourd’hui, une lame de fond parcourt la géopolitique et les relations internationales dans cette région. Trois grandes puissances, historiquement peu liées au continent africain, y font leur entrée, chacun à sa manière, chacun dans sa région : Chine, Russie et, plus récemment, Etats-Unis. D’autres sont en embuscade, guettant le bon moment et fourbissant leurs armes et leurs arguments : Inde, Japon, Israël, bloc latino-américain.

Il est temps que l’Europe fasse des choix, révise ses doctrines, change sa politique, fasse montre d’audace, car les choses évoluent, et vite. Le temps colonial est révolu et les approches post-coloniales sont désormais surannées. Le discours du roi Mohammed VI à Riyadh est fondateur, et son contenu est aujourd’hui le moteur des diplomaties de bien des pays du Sud.

Le Maroc, pour sa part, dispose de richesses et d’un potentiel de développement endogène et exogène considérable, s’il sait y faire... Rien n’est écrit et rien n’est durable, hormis les intérêts nationaux et le respect mutuel entre les nations.

La proximité géographique n’autorise pas tout et, à l’inverse, implique des contraintes de bon voisinage. L’Espagne, en agissant tel qu’elle le fait, perd progressivement son statut de voisin inconditionnellement ami du Maroc. Il est temps, aujourd’hui, d’ouvrir tous les dossiers en suspens car c’est maintenant que se dessinent et s’affinent les alliances des prochaines décennies.

Aziz Boucetta