(Billet 528) – Simplification de l’administration ? Pas si simple !

(Billet 528) – Simplification de l’administration ? Pas si simple !

Révolution au Maroc ! Une loi vient d’entrer en pratique, appelée à changer de fond en comble les relations qu’entretient le citoyen lambda avec son administration, de l’alpha à l’omega. On retient de la prose gouvernementale chargée de le « vendre » à l’opinion publique que ce texte permettra aux gens d’être reçus avec les égards dus à leurs rangs de citoyens. Il faut juste changer aussi la mentalité de nos fonctionnaires.

Pour se faire une idée de la fonction publique dans cet inimitable nation qui est la nôtre, une (re)lecture de Courteline s’impose… L’auteur y décrit avec un talent renversant les us et coutumes des fonctionnaires, leur prodigieuse légèreté et leur incommensurable propension à compliquer la vie de gens dont l’existence est déjà contrariée et surtout, leur étrange volonté de vous refuser des documents dont vous vous seriez très bien passé s’ils n’étaient obligatoires...

Alors la loi est sortie, sous le règne de Mohamed Benchaâboune au ministère des Finances, très opportunément appelé « ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration ». Que dit-elle, cette loi ? D’abord, elle supprime la légalisation, ce célébrissime document avec lequel tout Marocain, toute Marocaine, a une histoire à raconter. Idem pour la copie certifiée conforme… En gros, l’existence de ces deux procédures indiquait en creux que tout personnage entrant dans une administration était un délinquant potentiel, un escroc probable que le fonctionnaire pointu suspectera de faux.

Fort bien, l’annonce en a été faite, le peuple s’en est réjoui, puis s’est dirigé vers une administration, l’âme en paix et les bras allégés, en sifflant. « Ces documents doivent être légalisés », s’entend-il ordonner… Mais, mais… Rien à faire, il faut attendre les décrets d’application, lui explique le préposé aux tourments. Donc, la légalisation est toujours là. Soit. Mais alors, pour la copie conforme, c’est aussi le cas ? Oui. Alors cette personne veut certifier un document. Non, lui...

répond-on. La raison ? On ne certifie pas tout, et s’il s’agit d’un document de donation ou de procuration, alors l’administration refuse net ; elle ne veut pas se rendre complice d’une escroquerie… On vous le disait, nous sommes coupables d’à peu près tout jusqu’à preuve du contraire ou jusqu’à décision favorable de l’agent administratif. Et la similarité verbale et orthographique entre « agent » et « argent » n’est que fortuite.

Le problème est que pour faire des décrets d’application, il faut des fonctionnaires, et les fonctionnaires, on le sait, ne sont pas des foudres de guerre. Ils lambinent, procrastinent, marmonnent, ronchonnent, puis rentrent chez eux. Ils ne sont pas un million à être ainsi, mais une partie suffisante pour rendre l’administration imbuvable, surtout durant le ramadan.

Revenons à Courteline… que disait ce Monsieur sur l’administration ? Qu’elle est « un lieu où les gens qui arrivent en retard croisent dans l'escalier ceux qui partent en avance ». cela colle un peu avec notre réalité, mais on pourrait ajouter ceci, que l’administration est l’endroit où les citoyens viennent trouver des solutions auprès de gens dont le but est d’amplifier leurs problèmes.

La suppression de la légalisation et de la certification conforme implique également un problème économique, de pouvoir d’achat pour être précis. Ces deux procédures ont créé un écosystème qui implique le planton, le préposé numéro 1 qui écrit sur le registre ; le préposé numéro 2 qui appose les tampons avec de grands gestes, et l’élu/responsable qui pose sa signature pour certifier de la régularité de l’ensemble. Des actions menues nécessitant de la menue monnaie qui, avec les heures qui passent et les jours qu’i s’accumulent, devient de gros pactole.

Face à ces considérations très humaines et au gouvernement qui se suffit de ses effets d’annonce, gageons que les Marocains attendront encore quelques printemps la promulgation des décrets d’application d’une loi qu’aucun fonctionnaire digne de ce nom ne voudra appliquer.

Aziz Boucetta