(Billet 510) – La démocratie, ce mirage à la marocaine…

(Billet 510) – La démocratie, ce mirage à la marocaine…

Elle était en éternelle transition, et elle revêt aujourd’hui la forme d’un mirage qui s’estompe et s’éloigne à mesure qu’on en approche. La démocratie pure et parfaite, sous nos cieux, est aussi glissante, fuyante qu’une savonnette mouillée, qui glisse et nous échappe chaque fois qu’on la saisit. Il est vrai qu’avec un Etat chatouilleux, un électorat sourcilleux et une classe politique timorée et pusillanime, il est difficile d’ancrer une vraie démocratie.

Alors, on invente, on expérimente, on tâtonne et on avance par cahots et par à-coups. En 1998, le Maroc avait testé cette merveilleuse déclinaison de la démocratie qu’est l’alternance… consensuelle, puisque chez nous, on accole toujours un adjectif à un concept universellement admis sans… En 2002, le Maroc avait dévié de la logique démocratique, qualifiée alors de « méthodologie démocratique ». Puis, en 2007, avec un taux de participation de 37% sur un corps électoral lui-même ne représentant que les deux tiers des personnes en âge de voter, on obtient un gouvernement qui ne ressemble pas à grand-chose…

Et en 2011, ce qui devait arriva : une nouvelle génération de Marocains demande une constitution new generation, ce qui fut fait, sans heurts et, globalement, dans la bonne humeur. En novembre de la même année, le PAM surgit, mais c’est le PJD qui rugit, et on démarre notre apprentissage de la nouvelle constitution. Benkirane I, puis II… élections, puis blocage, et, péniblement, Elotmani I, suivi très laborieusement d’Elotmani II. Et voilà 2021, année électorale par excellence où des partis usés devront rencontrer une population abusée et un électorat désabusé.

Mais, à y bien réfléchir, et face à une population qui râle beaucoup, exige le maximum mais refuse de faire le minimum, en l’occurrence aller voter, le Maroc risque d’être pris en otage par un petit million, allez 1,5 million d’électeurs disciplinés du PJD, parti aujourd’hui soumis à des tensions létales. Après 10 années au pouvoir, de nouvelles tendances sont apparues autant en interne que dans notre environnement régional, et le PJD doit prendre une pause pour procéder à sa révision doctrinale. En face, les autres partis ne proposent rien en dehors de la glose universellement connue de politiques sans imagination.

Alors l’Etat agit. Il mobilise ses ingénieurs et ses sorciers électoraux, qui...

nous concoctent une idée tout droit sortie du scénario d’un film de fiction politique d’épouvante. Ainsi, pour la première fois au monde, le quotient électoral sera calculé sur la base des inscrits et non des votants. Incroyable coup de génie ou véritable hérésie ? Chacun répondra ce qu’il voudra et les défenseurs de la pureté électorale s’arracheront le peu de cheveux qui leur restent depuis le dernier scrutin…

Mais tant qu’ils ne votent pas, ces preux chevaliers de la sacralité démocratique mettront eux-mêmes la démocratie en danger, la laissant prise en otage par des gens qui ressemblent davantage à des adeptes qu’à des militants. Il est de notoriété publique au Maroc que les plus grands contempteurs de la démocratie locale ne votent pas, et que ces gens figurent dans notre « armée électorale de réserve » estimée à 9 millions d’âmes ; ces gens irresponsables laissent le champ libre à une poignée de personnes vivant davantage en 1442 qu’en 2021. Voyons ce qui s’est produit à la Chambre des représentants la semaine dernière. Il aura fallu une union sacrée aussi laborieuse que téléphonée pour réunir assez d’élus et dépasser numériquement les troupes arrivées en ordre serré du PJD.

Il est clair que ce mode de comptage est une véritable hérésie politique, et il est évident qu’il est de nature à heurter la démocratie, mais la démocratie sera encore plus boursouflée par l’hégémonie d’un parti sur les autres, car c’est ce qui se serait produit avec l’ancien comptage. L’Etat, responsable de la cohésion sociale, se devait de réagir ; il a donc fait la besogne, par le biais d’une union sacrée de tous les autres partis. Pas de la plus belle manière, certes, mais de la plus efficace et la plus légale, bien qu’elle se présente avec quelque nuance d’embarras.

O mirage, ô manque d’espoir, ô abstention ennemie ! N’avons-nous donc tant vécu que pour cette infamie ? Peut-être, mais comme un remède médical, il est amer à court terme, utile à plus longue échéance. Dans l’attente, tant que le PJD ne se sera pas révisé, que les autres partis ne se seront pas mis au niveau requis et que les électeurs râlent mais ne votent pas, le mirage s’éloignera encore et encore.

Aziz Boucetta