(Billet 501) – La nécessaire révision idéologique du PJD

(Billet 501) – La nécessaire révision idéologique du PJD

Les miracles n’existent pas, quoiqu’on en dise, ou alors ils ne se produisent plus, quoi qu’on en pense, et le PJD l’apprend aujourd’hui à ses dépens, mais en plus grave qu’il ne l’aurait pu prévoir. L’usure du pouvoir, cela fonctionne toujours, même pour des gens qui ont usé de toutes les ficelles pour continuer de briller. Pour le PJD, les 10 ans de gouvernement ont fini de détruire sa belle cohésion d’antan. Si ce parti veut exister encore, un retour à l’opposition serait vital, car une révision idéologique prend du temps.

Trois événements se sont produits durant ces 10 années qui nous séparent du Mouvement du 20 février, de la constitution et de la 1ère victoire électorale du parti alors dirigé par les frères ennemis qu’étaient et que sont toujours Abdelilah Benkirane et Saâdeddine Elotmani.

1/ Une relève générationnelle due à un ensemble d’éléments dont la révolution numérique n’est pas la moindre. Des enfants devenus étudiants et des étudiants venus aux affaires, dans un monde globalisé où l’information circule plus vite et où les anciens codes sociaux s’effondrent les uns à la suite des autres. Beaucoup partent, et ceux qui restent sont bien plus exigeants et encore moins réceptifs aux discours populistes et/ou moralisateurs qui creusent le fossé entre le PJD et ses « prospects » électoraux.

2/ Des changements géopolitiques d’importance, le dernier étant la reprise des relations diplomatiques et commerciales avec Israël. C’est très naturellement le chef du gouvernement qui a signé l’acte de reprise au nom du royaume, et comme le chef du gouvernement est aussi celui du PJD, alors des révisions sont à opérer en interne, pour établir l’orientation future du parti. Soit travailler avec Israël et donc faire évoluer sa doctrine, soit plonger dans l’opposition et continuer de porter des foulards palestiniens et à battre le pavé dans la capitale.

3/ Une évolution des législations internes, avec des changements que le PJD considérait jusqu’à récemment encore comme des hérésies : introduction des langues étrangères dans les corpus pédagogiques, réflexion attendue sur le Code pénal, dépénalisation annoncée de la culture du...

kif… De la belle œuvre pour l’Etat, des couleuvres pour le PJD qui doit reconsidérer son corpus moral ou disparaître.

Or, à chaque mutation sociale ou politique, c’est un petit bout du PJD « canal historique » qui disparaît, des refuzniks qui surgissent et glapissent, des mécontents qui s’en vont voguer sous d’autres pavillons politiques… un parti en passe d’éclater pour n’avoir pas su s’adapter, un parti qui veut aller de l’avant en regardant fixement son rétroviseur, un parti qui ne peut plus répondre par la morale à des problèmes matériels.

Agissant comme chef du gouvernement tenu de composer avec sa majorité (très) plurielle, M. Elotmani a naturellement approuvé la loi 51-17 sur l’éducation (introduction des langues étrangères) et il a signé l’acte de reprise des relations avec l’Etat hébreu. Ce sont deux avancées majeures dans la vie politique du pays, mais deux remises en cause tout aussi majeures de la plateforme idéologique du PJD.

Et c’est là que M. Elotmani a commis une erreur, péchant par excès de confiance. Il a utilisé le Conseil national comme simple chambre d’enregistrement de ces grandes décisions, plus dans une volonté d’absorber la colère des militants que de procéder à une évolution doctrinale. Et la Maison PJD se fissura, gronda, trembla sur ses fondations, enregistrant de plus en plus de démissions de cadres nationaux, dont le maire de Casablanca Abdelaziz Omari, le député  Abou Zeïd el Idrissi et maintenant le président du Conseil National et ancien ministre du Budget Driss el Azami el Idrissi.

Dix années, cela implique du changement social, législatif et politique. Il est très difficile pour un parti conservateur de s’y adapter sans heurt ni malheur, et cela est encore plus difficile pour un parti conservateur à connotation religieuse (même s’il s’en défend). Pour le PJD, c’est l’heure de la nécessaire révision idéologique, ou le temps d’entamer sa traversée du désert. Ou d’éclater.

Pour les autres partis candidats à la première place aux législatives, c’est plus simple. Ils n’ont pas de vie interne ni de débats idéologiques. Au mieux, ils tempèrent, puis obtempèrent.

Aziz Boucetta