(Billet 500) – Dépénalisation du chanvre : ceux qui le kiffent et ceux qui se rebiffent

(Billet 500) – Dépénalisation du chanvre : ceux qui le kiffent et ceux qui se rebiffent

Enfin, on en parle sur le plan des institutions ! Le cannabis, plante éminemment marocaine, exploitée dans le Rif, donnant du kif, est consommée un peu partout dans le monde et au Maroc aussi, dans un déni total – jusque-là – des pouvoirs publics marocains, aussi soucieux de leur image qu’indifférents aux ravages. Mais cette semaine, nous avons reçu l’heureuse surprise du projet de loi 13-21 portant sur l’usage médical et industriel du cannabis.

Que dit ce projet de loi 13-21, que le gouvernement a programmé pour examen cette semaine avant de le renvoyer au Conseil de la semaine prochaine dans une sorte de procrastination malencontreuse ? … En effet, pourquoi programmer un texte pour en reporter l’examen ? Pas de réponse, la parole du gouvernement est coupée. Mais il est heureux que cette question soit enfin arrivée sur la table des décideurs. L’idée remonte à loin, à au moins 12 ans, mais ceci était une affaire politico-partisane.

Aujourd’hui, dans sa présentation préliminaire, le ministère de l’Intérieur (car c’est lui qui prendra en charge cette question) revient sur le passé réglementaire (le Maroc sous Protectorat avait autorisé la culture du kif en 1922, puis avait fait volte-face en 1954), décrit le marché mondial du chanvre et de ses usages médicaux et se fonde sur son intention de développer cette agro-industrie tout en protégeant et libérant les petits cultivateurs de l’emprise des narcos et autres trafiquants.

En fait, à travers son projet 13-21, le gouvernement répond à cette question : Pourquoi le Maroc n’engrangerait-il pas les gains sociaux, économiques et même politiques que d’autres Etats ont réussi avant lui, sans même disposer de l’écosystème climatique et social que nous procure notre pays ? Le débat est ouvert et promet de chauffer entre les partisans de la réforme et ses opposants.

Tout le monde connaît les arguments des pro-dépénalisation et tout le monde connaît aussi ceux des anti… généralement les médecins et les gardiens de la vertu, tous versant souvent dans une sorte de solidarité corporatiste ou d’hystérie claniste. Aujourd’hui, avec la survenue du 13-21, il y a des contempteurs qui se rebiffent plus ou moins violemment, mais pour d’autres raisons.

1/ Le corps médical, spécialement les spécialités « psy », qui en appellent à une plus grande...

sensibilisation des jeunes aux dangers de la drogue, sachant que le projet dépénalisera la production tout en maintenant l’interdiction de l’usage récréatif du cannabis. Ils ont raison, car les jeunes et moins jeunes doivent être protégés.

2/ Les agriculteurs qui cultivent cette plante. Ils restent sceptiques quant à l’organisation de cette culture, à la structuration de l’activité qui en découlera, et demandent à être impliqués dans la direction de la future Agence qui réglementera la production.  Ici aussi, ils ont raison car eux savent ce que des administrateurs venus de Rabat ignorent vraisemblablement.

3/ Les ruraux sous mandat de recherche pour avoir cultivé ou commercialisé leur culture et qui, en fuite, demandent des garanties quant à leur sort. Seront-ils amnistiés avec effet rétroactif ? Le gouvernement devrait prévoir cela dans son texte… Ils sont environ 50.000 personnes à se trouver dans cette peu enviable situation.

4/ Les hérauts du « haram », lesquels brandissent bien évidemment des versets du Coran décontextualisés et font commerce de leur vertu populiste aussi facile qu’imbécile. Ils sont contre les libertés individuelles, contre la modernité, contre l’évolution, contre tout et le reste… et sans les gardiens du temple Maroc, ils auraient « saoudisé » notre société.

5/ Abdelilah Benkirane qui a ressorti pour l’occasion une vieille vidéo remontant à la période de sa lutte épique contre Ilyas el Omari. Confondant tout, menaçant de sédition du Rif, flattant la dynastie alaouite et insultant son adversaire, son propos est dénué de tout fondement car excessif donc stupéfiant d’insignifiance et orienté politiquement.

6/ ... et, bien évidemment, les partis politiques qui, en dehors du PAM, de l'Istiqlal, et peut-être du PPS, vont se réfugier dans leur couardise habituelle, attendant un signal, peut-être...

Le débat doit être ouvert avec tout le monde, sans exclusive, sereinement, pour brasser toutes les questions en suspens et brosser le tableau à venir de cette culture qui ne devrait pas concerner que les régions nord du pays, ce que d’ailleurs le 13-21 ne mentionne absolument pas.

A la clé, une bouffée d’oxygène pour les gens du Rif, des ouvertures sur de nouvelles industries où nous devrions être leaders (ou presque), et des recettes, beaucoup de recettes pour l’Etat. C’est-à-dire, en principe, pour nous tous.

Aziz Boucetta