(Billet 470) – La « défrancophonisation » du Maroc, de signaux faibles en tendances lourdes

(Billet 470) – La « défrancophonisation » du Maroc, de signaux faibles en tendances lourdes

Le Maroc est l’ami indéfectible de la France, qui est à son tour la mie et la muse du Maroc. C’est le cas depuis l’indépendance, quand l’interdépendance fut déclarée, en 1956, et cela remonte à plus loin encore, dès la fin du 17ème siècle. Mais les meilleurs amis du monde, une fois soumis aux rigueurs de l’Histoire, voient leurs intérêts changer et évoluer, et s’ils ne changent ni n’évoluent à leur tour, mettent en péril leur belle amitié. Et c'est bien dommage !...

Le Maroc et la France furent deux grands royaumes, puis empires, de la grande Histoire, nés tous deux dans la seconde moitié du premier millénaire, et avançant en parallèle des siècles durant, avec leurs guerres de conquête dans leurs quêtes de richesses. Puis, l’Histoire étant ce qu’elle est, la France connut sa révolution industrielle aux temps européens des 18ème & 19ème siècles, et devança le Maroc, glué par ses traditions et englué dans ses contradictions. Par la suite, développement de l’Empire colonial français et déliquescence concomitante de l’Empire chérifien, jusqu’au 20ème siècle, quand le Maroc fut dépecé. Et, trois ou quatre grandes dates plus tard, 1956, 1961, 1975 et 1999, nous voilà à une croisée des chemins.

Le Maroc est un pays francophone qui fut très longtemps très francophile, avant que les choses ne se mettent à grincer au début des années 2000, et surtout des années 2010, quand les relations furent prises de bégaiements de plus en plus audibles. De petites crises larvées en mauvaises surprises répétées, nous voilà aux prises avec les contraintes de la mondialisation, et les changements de prismes diplomatiques et politiques.

Pendant ce temps, l’anglais avance, doucement, lentement, mais irrésistiblement, et la jeunesse marocaine s’y met résolument. Les centres d’apprentissage de l’anglais prolifèrent, les universités anglosaxonnes entament leur approche auprès de nos étudiants et leur recrutement directement dans nos villes, pendant que la France serre sensiblement sa politique de visas, érige des barrières de plus en plus insurmontables à ses écoles et lycées, favorisant ainsi un élitisme qui ne la sert guère.

Il reste néanmoins 40.000 étudiants marocains en France (et 500 millions d’euros transférés annuellement du Maroc vers la France), mais...

la tendance nouvelle est d’aller ailleurs, pour ceux qui le peuvent, Asie et Amériques étant privilégiées, mais aussi l’Espagne et l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Roumanie, l’Italie ou même l’Australie.

Et bien que la très indépendante justice française ait voulu mettre avec une insoutenable condescendance la main et le grappin sur le chef du renseignement intérieur marocain en 2014, celui-ci fut à la manœuvre le 13 novembre 2015 pour fournir des informations à des services français désemparés, et les officiels marocains continuent d’acheter du matériel français à tour de bras, un TGV par-ci, deux satellites par-là, des trams un peu partout. Mais l’Etat marocain ne pourra continuer à naviguer indéfiniment dans ce contresens.

2020. La pandémie et les inquiétudes, les mots de M. Le Drian sur les visas, les (gros) sabots d’Hélène Le Gal à l’égard de la Commission Benmoussa, les mots crus de M. Macron, le net rapprochement entre le Royaume-Uni et le royaume heureux après le Brexit, les positions plutôt inamicales de la chaîne France24, et le changement spectaculaire de la donne géopolitique au Sahara et du rétablissement des relations avec Israël… Tout cela va radicalement et rapidement changer la donne des relations franco (et hispano aussi) marocaines.

Le Maroc introduit progressivement l’anglais dans ses cursus de formation, les entreprises optent résolument pour l’anglais, les centres de formation et de soutien pour l’accès aux universités anglosaxonnes fleurissent dans le royaume, de même que des clubs sportifs de basket, et la jeunesse marocaine, anglophile, devient de plus en plus anglophone. Le mouvement, au départ lent, s’accélère, projetant le pays dans un basculement irréversible vers la langue anglaise. Comment un pays réussit-il cette grande bascule ? Par une décision politique, comme au Rwanda, ou par une évolution de sa société comme semble le faire le Maroc, puissamment aidé par la politique française de restriction des visas, de limitations de l’accès à ses écoles et aux innombrables petites indélicatesses de sa diplomatie.

Le temps fait donc son office… La jeunesse marocaine n’est pas francophobe, mais elle est de plus en plus anglophile, et cela constitue une tendance lourde que favorisent une multitude de petits signaux. Et c'est bien dommage, donc !...

Aziz Boucetta