(Billet 467) – Sahara : une subjectivité imMonde

(Billet 467) – Sahara : une subjectivité imMonde

Chacun est libre dans ses opinions et ses sympathies, et chacun peut choisir son camp ; c’est même là une règle de vie, tant l’objectivité est une chose difficile, même pour des journalistes. La seule contrainte reste dans la préoccupation de développer des arguments solides et de bien évidemment respecter la loi… Si tel est le cas, alors le journal demeure dans sa raison d’être de fournir l’information et de proposer les analyses.

Quelle est la raison d’être, donc, d’un journal comme Le Monde ? Être un quotidien de prestige et de référence, disait de lui le général de Gaulle, qui fut à l’origine de sa création en 1944. Et de fait, avec le temps, le Monde est devenu ce journal de référence, servant de grandes idées elles-mêmes servies par de grandes plumes devenues elles-mêmes de grandes références. Il n’est pas un francophone dans le monde qui n’ait pas tenu un jour ce journal entre les mains et qui ne s’y est pas informé, ou qui n’y a pas enrichi ses idées avec les analyses et les débats publiés.

Or, depuis longtemps, on peut relever un certain parti-pris du Monde sur l’affaire du Sahara. Le Maroc y est désigné comme l’occupant, généralement méchant, le Polisario comme la sympathique et vertueuse résistance à cette occupation… et la RASD est bien évidemment la valeureuse structure politique émanant de la lutte légitime du Front Polisario pour la libération héroïque de son « peuple » ; des saillies belles comme un Boeing... sauf que les gens du Front qui avaient assassiné au couteau, images à l’appui, des hommes à terre et désarmés, et qui sont très logiquement condamnés à de lourdes peines de prison, sont devenus aux yeux du Monde des prisonniers politiques de la monarchie.

A partir de là, le Monde a rétamé sa crédibilité, après avoir entamé son aura… Pierre Bergé, qui fut un temps un de ses propriétaires, estimait que les journalistes du Monde étaient « prisonniers de leur idéologie », ce qui n’est absolument pas un mal, sauf à vouloir simultanément se poser encore comme « journal de référence ». Une forme de condescendance surannée marque les analyses et informations sur les pays africains, une posture de justification quand il s’agit des politiques anti-migratoires européennes, une espèce de complaisance quand Tsahal tire sur tout ce qui bouge, sans distinction…...

Pour cela, le choix des mots est important, et la sélection des analystes encore plus soigneuse.

Revenons à la question du Sahara… Qu’un grand journal défende avec plumes et claviers l’indépendance d’un « peuple » équivalent au tiers de son lectorat aurait peut-être pu inciter la direction du journal à y regarder de plus près, sauf à avoir une idéologie immarcescible, rétive par principe à toute forme de monarchie. Et quand le Maroc « deale » pour son intérêt national avec les Américains, le monde reste coi pendant que le Monde s’énerve… et par deux fois, il assène et matraque : « Mépris du droit international », « les droits bradés du peuple sahraoui », « l’occupation marocaine »… et impute indirectement au Maroc la prochaine colonisation d’autres territoires en Palestine puisque les voix des Israéliens marocains maintiendront Benjamin Netanyahou au pouvoir !...

Tout ceci, encore une fois, relève d’une ligne éditoriale. Soit, mais qu’on ne vante alors pas le pluralisme des opinions, l’objectivité du journal. L’universitaire et juriste marocain Mustapha Sehimi, commettant le péché de naïveté de croire encore en cette objectivité, a adressé une réponse au premier article publié dans le Monde. Refus du journal qui argue le défaut de place. Après la seconde tribune publiée dans le « journal de référence » quelques jours plus tard, le refus est motivé par le fait que plusieurs articles et tribunes ont été consacrées à cette question… Et pourtant, M. Sehimi n’a fait que revenir sur le déroulé historique et juridique de la question du Sahara, dans l’optique d’apporter une autre version aux lecteurs du Monde, et de les laisser libres de leur opinion sur le sujet.

Que le Maroc assure un tampon sécuritaire entre Sahel et Europe, qu’il constitue un bouclier face à l’émigration africaine vers l’Europe, que les entreprises françaises surtout s’activent en force au Sahara et que les écoles françaises essaiment dans la région… tout cela n’offusque pas nécessairement le Monde, ni la France officielle d’ailleurs, qui en oublient pour le coup les Sahraouis…

Le Monde n’a jamais été un ami du royaume et tel n’est pas son rôle, ni le vœu du Maroc, mais il s’affiche aujourd’hui comme son ennemi, et c’est aussi son droit. Cela ne changera rien, dans l’attente que la politique française change à l’égard de cette question, et cela, c’est important, et peut-être même urgent.

Aziz Boucetta