(Billet 452)– Sahara : le Maroc a fait un pas de géant, entre chemin de croix et langue de bois

(Billet 452)– Sahara : le Maroc a fait un pas de géant, entre chemin de croix et langue de bois

L’information est tombée, a plutôt explosé, ce jeudi 10 décembre en fin de journée. Elle peut se résumer en ces quelques mots : Les Etats-Unis d’Amérique reconnaissent (enfin) que le Sahara est partie intégrante du Maroc, lequel, en échange, entreprendra une politique de normalisation avec Israël. Deux événements capitaux pour le Maroc, qui aborde ainsi un tournant majeur dans sa diplomatie…

… et qui devra ainsi et désormais assumer un rôle de puissance régionale certes honorable et prestigieux, mais qui implique également des contraintes et des devoirs. C’est le palais royal qui a annoncé ce double accord, juste après l’information tweetée par l’encore président Donald Trump. Pourquoi le roi Mohammed VI a-t-il accepté cela ? Comment cette décision sera-t-elle reçue et perçue par l’opinion publique nationale et relayée par nos « partis » politiques, essentiellement le volet normalisation ? Comment réagira l’administration Biden dès le 20 janvier ? Quelles suites seront-elles données à cette nouvelle situation par l’UE, France et Espagne principalement ? Autant de questions importantes aux réponses complexes, qui feront l’objet des prochains billets.

1/ Le palais royal. Le roi Mohammed VI est le chef de l’Etat du Maroc, et le Maroc a un problème avec la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara. Cela fait 45 ans que ce conflit dure, et que les puissances mondiales, avec l’ONU, tergiversent, jouent la montre, exercent des pressions, manipulent et manigancent. La politique intérieure américaine a donné l’occasion à Mohammed VI de créer l’événement, de forcer le destin et d’imposer un fait accompli. Il l’a saisie.

Cela fait deux ans qu’une très forte pression est exercée sur le roi par Donald Trump et ses équipes. Cela fait deux ans que Mohammed VI résiste bien et tient bon, négociant dans une position de force ce que les Américains semblaient ignorer : arracher la reconnaissance de la marocanité du Sahara à la 1ère puissance mondiale est une immense victoire, mais normaliser avec Israël était une décision qui devait de toutes les façons intervenir un jour ou l’autre, fatalement.

Normaliser signifie officialiser des relations qui existent déjà, et le roi Mohammed VI ne pouvait ignorer 800.000 de ses sujets qui vivent en Israël et donc la culture et l’identité sont constitutionnellement affirmées. Il est par ailleurs le président (actif) du Comité al-Qods, qui défend et défendra encore les droits palestiniens, et il avait même consolidé sa position à travers sa déclaration commune avec le pape François.

Les 60 dernières années ont montré que chercher la paix en position de guerre avec Israël est improductif. Il est temps aujourd’hui de changer son fusil d’épaule, et de le mettre même au pied, pour négocier avec l’Etat hébreu, mais en situation de paix. Et si, ce faisant, cela nous procure une extraordinaire reconnaissance américaine malgré une colère de potentats chamarrés ou de roitelets replets, cela s’appelle un bingo !

2/ L’opinion publique et les partis au Maroc. Les Marocains semblent ne pas être enchantés par ce deal, car c’est un deal, un deal gagnant mais que l’opinion publique a du mal à accepter. Il faudra du temps, et il faudra surtout que les défenseurs de la cause palestinienne sur nos terres sortent un peu de leur logique des années 70 et expliquent que si nous disons diplomatiquement et affectivement que le Maroc a deux priorités nationales, celle du Sahara doit passer bien avant celle de la Palestine. Les termes du communiqué royal et la teneur de la communication téléphonique entre Mohammed VI et Mahmoud Abbas insistent d’ailleurs avec autant de force sur les liens du Maroc avec « ses » Juifs d’Israël et sur l’affaire palestinienne et sa solution à deux Etats, avec al-Qods/Jérusalem comme capitale des deux et ville confessionnellement cosmopolite.

Si l’opinion publique est encore engluée dans l’émotion de l’information, les partis politiques marocains, eux, sont égaux à eux-mêmes,...

rasant les pâquerettes. Applaudissements insipides et mous, adhésions téléphonées (le mot à deux sens), déclarations pitoyablement convenues et mortellement ennuyeuses, fierté empruntée… sans compter le PJD qui s’affole entre l’immense sacralité dont il entoure la Palestine et la simple importance qu’il accorde au Sahara, ainsi que le montrent les affirmations bégayantes de certains de ses cadres et le silence assourdissant de la majorité de ses dirigeants.

Et aucun parti n’ose franchement parler de cette normalisation avec Israël. Sont-ils donc tellement insignifiants ? Oui. L’élément de langage est là certes, mais le courage politique est ailleurs, et la question de leur utilité pour ce pays se pose encore plus cruellement que jamais. Leur non-position nourrira le scepticisme des Marocains et favorisera les attaques étrangères contre le Maroc.

3/ Joe Biden. Le prochain président US avait déclaré qu’il ne reviendrait pas sur la politique moyen-orientale, israélienne, de son prédécesseur. Mais si, comme tout porte à le croire, il reprendra le dossier iranien et qu’il est susceptible de revenir sur la reconnaissance de l’annexion israélienne du Golan, il lui sera difficile de rogner en plus sur l’accord triangulaire Maroc-Etats-Unis-Israël sans prendre le risque de mécontenter les lobbies israéliens…

Et comme l’aile gauche du parti démocrate et la gauche israélienne sont plutôt opposées à cet accord, on peut espérer une large offensive de la diplomatie publique et non publique marocaine à Washington… et à Tel Aviv… avec cette fois le soutien actif, militant et ô combien percutant des lobbies juifs américains. Le Maroc peut en outre se fonder sur « la diaspora inversée » juive d’Israël et du Maroc, les citoyens d’ici étant des ressortissants de là-bas, et inversement.

4/ Géopolitique. Les Etats-Unis sont le premier Etat du Conseil de Sécurité de l’ONU à reconnaître la marocanité du Sahara. Les Russes ont condamné l’accord, ce qui était attendu, et les Chinois n’ont toujours rien exprimé, étant eux-mêmes en butte à des problèmes de souveraineté au Tibet et à Taiwan, et étant également en affaires avec le Maroc dont la position géographique ne saurait les laisser indifférents. Retenons simplement que les Chinois construisent (on l’espère du moins, si les Marocains ne manigancent pas un coup tordu) une cité industrielle près de Tanger Med et que les Américains comptent installer une représentation consulaire près du port Dakhla Atlantique.

Mais quid de l’Union européenne ? Elle tergiverse. Rabat doit aujourd’hui faire comprendre à Bruxelles, Paris et Madrid que la politique équilibriste entre le Maroc et l’Algérie est désormais révolue. Le Maroc a pris un risque pour défendre son bien ; de quel droit, sinon inavouable, l’Europe pourrait encore tirer profit de nous en tirant sur notre souveraineté ? Quand donc comprendra-t-elle qu’un Maghreb uni est à son avantage, et que l’Algérie doit être placée devant le fait accompli du Sahara marocain ? Avec l’ouverture imminente d’un consulat émirati à Laâyoune, la construction plus que probable d’un consulat américain à Dakhla, et peut-être, un jour prochain, un consulat israélien au Sahara, il est temps que le Maroc conditionne les affaires au Sahara à la reconnaissance de la marocanité de ce territoire ! La France, par exemple, entretient ses écoles à Laâyoune et Dakhla, supporte ses entreprises dans les deux villes, mais continue de dérouler un discours convenu qui doit cesser sur l’appartenance du Sahara, même avec son communiqué alambiqué d’hier…

 

Le Maroc a bien joué, le roi a bien manœuvré, Nasser Bourita a bien œuvré. Washington a accéléré l’histoire de ce territoire qui nous est contesté. L’heure d’un vrai front national a sonné, de même que celle de discussions frontales avec l’Europe, et principalement la France, dont l’utilité pour nous au Conseil de Sécurité se réduit. Les partis politiques marocains ont une occasion en or de montrer qu’ils sont utiles. Nous reviendrons sur chacun de ces points.

Aziz Boucetta