(Billet 440) – Commission Benmoussa, certains attendent, les autres se tendent…

(Billet 440) – Commission Benmoussa, certains attendent, les autres se tendent…

Dans trois semaines, cela fera douze mois que le roi Mohammed VI aura désigné les 35+1, 35 experts et 1 président, dans ce que l’histoire et les mémoires retiendront comme la Commission spéciale pour un modèle de développement. Le Maroc en a semble-t-il urgemment besoin, lui qui patauge depuis quelques années, paraissant ne pas savoir définir un cap, et le tenir… et il en a encore plus besoin avec cette pandémie qui n’en finit pas de détruire.

Mais avons-nous vraiment besoin d’une pandémie pour détruire nos acquis ? Non, il appert que nous nous débrouillons très bien tous seuls… Voilà une commission attendue deux années durant puis qui, une fois formée, a commencé à nourrir les critiques sur sa composition, la binationalité de plusieurs de ses membres, la disponibilité des autres… Le président parle à une diplomate étrangère (qui, il est vrai, a la nuance diplomatique d’un corps de garde) et le voilà rudement secoué ; un membre exprime son opinion sur une affaire de droits, et c’est toute la commission qui trinque… Nous ne sommes même pas gaulois et nous réussissons pourtant à être réfractaires !

Dans l’intervalle, les 36 ont fait, font et achèvent le travail, écoutant les uns, se déplaçant vers les autres, notant ici les défaillances, collectant là les doléances… Et il n’en aura pas fallu davantage pour que les observateurs froncent les sourcils, haussent les épaules et hochent la tête. En signaux de désapprobation. Pourquoi ? Parce que ce travail est une sorte de remake de l’IER, disent-ils, que le rapport du Cinquantenaire a déjà défini nos maux, fulminent-ils, et que la constitution a tout cadré, rappellent-ils.

Mais comparaison se montre parfois déraison. Le Maroc de 2020 est-il celui de la première décennie 2000 ? Assurément non, par trois fois. Il a, d’abord, connu 2011 avec sa mauvaise humeur du printemps, sa constitution expresse de l’été et son scrutin tumultueux de l’automne. Elections puis déception, et donc remise en question. Le Maroc a, ensuite, vu émerger une nouvelle génération, avec de nouveaux codes de pensées et de nouvelles attentes pressées, nationaliste mais pas chauvine, loyale mais non soumise, critique et même exigeante, sans peur mais avec...

beaucoup de reproches. Cette génération est moins pusillanime, plus téméraire, et puisqu’elle n’a pas connu hier le mur de la répression, elle prend d’assaut aujourd’hui celui de l’indifférence et de la condescendance. Le Maroc a, enfin, tangué avec la pandémie, toujours dans nos murs ; et des affres du confinement, de la crainte de la paupérisation et de l’incertitude générale, personne ne sort indemne.

C’est donc ces contextes que la CSMD est chargée de lire et de structurer, pour en sortir quelque chose de valable pour ce pays. IER, rapport du Cinquantenaire et constitution ont décrit des maux et donné des définitions à des époques données et dans des contextes précis. La CSMD est chargée de mettre tout cela en musique, en modélisation, aujourd’hui, en actualisant ce qui doit l’être : c’est le modèle de développement de demain, avec nos si nombreux atouts et nos multiples talents pour servir les nouveaux métiers qui nous attendent… mais ce modèle attirera forcément, nécessairement, mécaniquement des résistances.

Comment les définir et en identifier les auteurs ? En revenant aux maux du Maroc d’aujourd’hui : l’économie de rente, l’inégalité des chances, une santé publique moribonde, un enseignement national vacillant, et la hogra… ah, la hogra, dénoncée sans langue de bois face à un Benmoussa se tenant coi. Le rapport final de la CSMD devra donc rapporter les choses, telles qu’elles sont, ou se taire à jamais. M. Benmoussa et ses pairs ne sont pas là pour plaire, et un travail bien fait déplaira. Peu importe, il restera néanmoins incontournable car en ces temps incertains où rien n’est sûr, et encore moins l’avenir, nous n’avons toujours pas de classe politique digne de ce nom, et de nous. D'où, sans doute, la mise en place de cette commission par le Roi.

Aujourd’hui, le Maroc doit changer car les temps changent et les habitudes anciennes dérangent. Avec une nouvelle donne politique, une nouvelle génération, des menaces nouvelles et inédites et une nation qui vacille, changer n’est plus un luxe ou une simple stratégie de développement. Le Maroc doit changer car ses gens l’exigent, chacun à sa manière, et l’exigence devient foi et fait loi.

Aziz Boucetta