(Billet 430) – Moulay Ahmed Laraki s’est éteint, et avec lui une certaine idée de la politique

(Billet 430) – Moulay Ahmed Laraki s’est éteint, et avec lui une certaine idée de la politique

Moulay Ahmed Laraki n’est plus, il s’est éteint paisiblement à près de 90 ans dans son domicile casablancais où il réside depuis qu’il a quitté les affaires (étrangères) en 1976, pour se consacrer à ses affaires (tout court). Cet homme fut un époux, un père, un beau-père et un grand-père, après avoir été un tout aussi grand homme d’Etat, que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, mais dans lequel les plus de cinquante pourront se reconnaître.

Cet homme était médecin, l’un des premiers que le Maroc a connus, militant du parti de l’Istiqlal durant ses années d’études, avant d’être rattrapé, puis happé par la politique que ce gastro-entérologue avait dans les tripes ! Il fut, sous la direction d’Ahmed Balafrej, l’un des fondateurs de la diplomatie marocaine, et il racontait volontiers, le sourire aux lèvres et le regard (toujours) brillant ces nuits qu’il passait à sillonner Rabat à la recherche désespérée d’une introuvable ronéo pour imprimer des documents aussi officiels que confidentiels…

S’en suivit une carrière exaltante, à l’ascension fulgurante. Ambassadeur à Madrid et Washington, il fut propulsé à 36 ans, en 1967, chef de la diplomatie marocaine, puis premier ministre à 38, avant de redevenir, fait rarissime, ministre des Affaires étrangères en 1974. Il faut dire que le défunt connaissait bien Houari Boumediène et ses turpitudes, allant jusqu’à prudemment conseiller à feu Hassan II de ne pas trop lui faire confiance ni accorder à ses promesses tant d’importance. Son retour à la tête de la diplomatie en cette période trouble de coups d’Etat a été marquée par le coup d’éclat de la Marche Verte.

Moulay Ahmed Laraki a en effet été en première ligne pour la question du Sahara. Il avait fait tellement de navettes Rabat-Madrid qu’il connaissait la forme des nuages et les petits noms des oiseaux. Fait peu connu, c’est lui qui fut à l’origine de la saisine de la Cour de Justice de La Haye, une « astuce » diplomatique car le défunt roi voulait gagner du temps, avec un Franco mourant. Feu Moulay Ahmed se souvenait aussi avec un grand sourire de la bonne surprise judiciaire qu’avait constitué l’arrêt de la Cour… Il racontait également ce moment intense où le souverain avait décidé de lancer la Marche Verte alors que ses généraux étaient plutôt… sceptiques !

Le...

défunt avait également rédigé une lettre restée célèbre à Hassan II, à la demande du monarque, y écrivant ce qu’il savait et décrivant les maux de ce pays avec des mots choisis qui devaient réussir le double exploit de convaincre le souverain sans le braquer. « Oui, disait Moulay Ahmed, on pouvait tout dire à Hassan II, mais en privé ». Et en privé, il avait servi du très lourd à Hassan II...

L’auteur de ces lignes avait eu le privilège d’écouter des discussions passionnées entre Moulay Ahmed Laraki et son successeur Mhamed Boucetta sur le Sahara. Privilège car assister à ces joutes d’un autre temps, entre deux passionnés, tous deux érudits, l’un Fassi et l’autre Marrakchi, c’était un coup à vous réconcilier avec la politique…

Moulay Ahmed fut aussi un père aimant et un époux amoureux. Il eut un geste magnifique en ce début de siècle quand, sa défunte épouse connaissant des problèmes hépatiques, il avait décidé de lui donner une partie de son propre foie ! Ses enfants revivent aujourd’hui cette scène où le couple, se tenant par la main, disparut à leur vue, happé par le bloc opératoire. Son épouse se remit rapidement, et guérit ; lui mit plus de temps mais, aguerri, put récupérer dans la durée.

N’ayant jamais rien demandé à la vie, la vie l’a néanmoins encouragé, sans pour autant le ménager. Des bonheurs, il en connut, autant que des malheurs, et dans les deux cas, sa piété l’aidait, son érudition l’accompagna, et ses larmes de joie ou de chagrin coulaient sur ses joues pour le soutenir.

Moulay Ahmed Laraki s’est éloigné de la vie politique en 1977 et, respectueux de ses successeurs, de son roi et des institutions de son pays, il a observé depuis une remarquable discrétion et une retenue encore plus grande… même s’il pensait voici quelques années, concernant son cher Sahara, que la Minurso devait s’en aller pour laisser, enfin, le Maroc développer cette région, citant même, avec son regard espiègle, Hassan II qui disait « Kebberha tessghar »…

Que ses enfants et petits-enfants, que ses proches et celles et ceux qui l’ont connu puissent trouver du réconfort après sa mort. Il est aujourd’hui auprès de son Créateur qu’il n’a jamais cessé de glorifier, et près de sa femme qu’il a su si admirablement chérir.

Aziz Boucetta