Apsaco Talks : débat sur la sécurité en Afrique pendant et après la Covid-19

Apsaco Talks : débat sur la sécurité en Afrique pendant et après la Covid-19

Dans le contexte de la crise Covid-19 qui prévaut depuis mars en Afrique, le Policy Center for the New South organise une édition spéciale de l’un de ses évènements annuels phares, la Conférence annuelle sur la Paix et la Sécurité en Afrique, baptisé pour l’occasion APSACO Talks.

Cette version online de la conférence, qui s’étale sur toirs jours, a commencé ce jour, le 23 septembre, avec un premier panel sur « Le secteur de la sécurité en Afrique pendant et après la crise sanitaire de la COVID-19 », modéré par Badreddine El Harti (Maroc), Conseiller principal en matière de réforme du secteur de la sécurité et de l'État de droit, PNUD et conseiller spécial du président du Burkina Faso.

Dans son allocution d'ouverture, Rachid Houdaigui, Senior Fellow au Policy Center for the New South, a rappelé que le think tank a publié depuis mars 2020 plus de 2000 publications relatives à la Covid-19. « Une pandémie qui peut agir comme un déclencheur pour une transformation durable de la sécurité africaine, vers une plus grande sécurité humaine tout en tenant compte des spécificités nationales, régionales et continentales ».

 La première intervention faite par Yonas Adaye Adeto (Éthiopie), directeur de l’Institut d’études sur la paix et la sécurité (IPSS), portait sur l’Ethiopie. Dans ce pays, le gouvernement n'a pas choisi la voie du confinement strict, mais a insisté sur une approche communautaire, en encourageant un système traditionnel de partage de nourriture entre voisins. Cette approche pragmatique a fait en sorte que « des initiatives de renforcement de la résilience ont été encouragées, vu que les gens vivent au jour le jour, ». Le contexte politique reste particulier avec le report des élections, qui a créé des tensions entre le gouvernement national et les gouvernements régionaux.

Troubles sociaux et répression

 Selon Giovanni Faleg, responsable de l'analyse et de la recherche sur l'Afrique subsaharienne à l’Institut d'études de sécurité de l'Union européenne (IESUE), la nature même de la menace a changé. « La pandémie actuelle marque un tournant pour la sécurité internationale. Elle a dépassé les notions traditionnelles de sécurité militaire ou nationale, une crise sanitaire étant une menace de sécurité essentielle pour l'espèce humaine ». La pandémie a renforcé la montée des politiques extrémistes à travers le monde y compris en Afrique, notamment au Sahel, au Lac Tchad et au Mozambique, et ce malgré l'appel des Nations unies à un cessez-le-feu mondial. Les répercussions économiques ont mis certains États sous pression la réduction des budgets consacrés à la sécurité, les interdictions de voyager et la réduction de la capacité de l'aide internationale. Les questions de sécurité alimentaire et des déplacements des populations peuvent exacerber l'instabilité sociale, tant dans les zones urbaines que frontalières. Les troubles sociaux, en réponse aux mesures de confinement, ont mis les autorités sous pression. Ceci peut conduire les États à accroître la répression et à adopter une attitude moins démocratique qu'auparavant, notamment lorsque le recours aux forces de police vise à contenir les mouvements sociaux, comme on l'a vu à Bamako, Abidjan et Ouagadougou. La confiance entre les populations et les autorités a été ébranlée par les exactions des forces de sécurité. La pandémie de la Covid-19 a renforcé les fragilités déjà existantes. Quelle serait la voie à suivre ? Giovanni Faleg insiste sur l'importance de la jeunesse africaine,...

qui représente 70 % de la population, et qui pourrait jouer un rôle de tampon contre les effets de la Covid-19. Au vu du contexte sécuritaire général, il serait judicieux d'investir dans la santé et l'éducation dans les villes.

Un soutien international moindre pour les réformes de sécurité

La crise de la Covid-19 a déjà eu un impact fort sur les États faibles ou « en déliquescence », comme la République centrafricaine (RCA) et la République démocratique du Congo (RDC), a expliqué Saïd Abass Ahamed, directeur de Thinking Africa. La Covid-19 a accentué le manque de budget pour les projets de réforme de la sécurité en cours, depuis le début des années 2000 dans la région des Grands Lacs. La « fatigue » des bailleurs de fonds a eu un impact sur la réforme de la sécurité en général, allant au-delà de l'armée et de la police, touchant aussi les réformes de l'administration et de la justice. C'est là que la nécessité de trouver une solution aux conflits récurrents qui se produisent dans la région se fait sentir. En RDC, où les rébellions ne cessent de resurgir, des personnes sont encore tuées quotidiennement dans la région de Maniema. Ce pays devra compter sur ses propres fonds pour mener à bien son programme. Par ailleurs, il devra initier des pourparlers sur la paix en impliquant toutes les parties prenantes, comme par exemple les milices Maï-Maï en RDC. Ce retour aux décisions nationales pourrait assurer un effort de paix plus durable.

Moins de coercition, plus d'interaction avec les citoyens

Les situations varient fortement en Afrique, a souligné le Pr. Khalid Chegraoui, Senior Fellow au Policy Center for the New South, révélant une faiblesse générale de l'État et l'absence de politiques efficaces pour contrer les effets négatifs sur la ma stabilité. La crise liée à la Covid-19 a rendu la question sécuritaire plus difficile en Afrique, avec des différences importantes entre les pays, surtout en prenant compte de l'ampleur des conflits et des problèmes de gouvernance qui ont précédé la pandémie. L'évolution de la pandémie est spécifique à chaque pays, et la question de la similarité entre le nord et le sud de l'Afrique mériterait d’être étudiée.

De nombreux pays ne communiquent plus les données sur la Covid-19 en Afrique. Les systèmes et les stratégies de santé sont hétérogènes, tout comme les profils de la maladie, une question difficile à commenter en l'absence de recherches. Il n'y a pas de débat en Afrique sur la propagation et les éventuelles mutations du virus. La gestion de la crise reste très complexe pour les États, mais cette tragédie humaine est aussi l'occasion pour les États de protéger plutôt que de s’imposer par la force, de se réconcilier et d'interagir avec la population, en utilisant les structures socioculturelles, et de convaincre de l'efficacité et de la légitimité des mesures prises. La dimension régionale et continentale fait toujours défaut dans les stratégies de sécurité pour anticiper les crises sanitaires futures et les réponses à y apporter. Nous (les africains) attendons tous que la production du vaccin vienne de d'autres pays et forces, et nous devrions en payer le prix par le biais de « gentlemen agreements » avec certains pays, au lieu de nous approvisionner à un coût moindre auprès de la Chine ou de la Russie.