(Billet 378) – Le discours d’un roi

(Billet 378) – Le discours d’un roi

Tous les discours du roi Mohammed VI sont attendus, le Maroc est au prochain suspendu. Mercredi soir, le chef de l’Etat s’adressera à la nation, pour la première fois depuis novembre dernier, donnant ainsi le coup d’envoi de la saison des discours… à cette différence près que cette année est exceptionnelle, triplement, avec la Covid-19, le modèle de développement et les élections qui pointent à l’horizon.

Depuis 21 ans aujourd’hui, et à l’exception notamment de 2011, le roi a donné quatre discours par an, thématiques : celui du 30 juillet sur l’état de la nation, puis le discours du 20 août, généralement dédié à la jeunesse, et ensuite le discours d’ouverture du parlement, en octobre, qui dessine la feuille de route politique à la classe du même nom et, enfin, le discours du 6 novembre, consacré à la question du Sahara.

Le discours de la fête du Trône 2020 était donc attendu pour annoncer le modèle de développement tant espéré, et que la commission éponyme devait soumettre au chef de l’Etat fin juin 2020, et aussi pour, peut-être, donner quelques indications sur les élections à venir. Un virus aussi petit que teigneux en aura décidé autrement. Cette année, le Maroc est à la fois économiquement KO et socialement chaotique et les chiffres fournis par le gouvernement, le HCP, Bank al-Maghrib le confirment.

Les Marocains sortent (à l’exception des populations de villes comme Tanger et Marrakech) d’un confinement de trois mois où les riches se sont moins enrichis et les pauvres se trouvent plus appauvris, tout ce monde étant par ailleurs rongé par l’incertitude et tout le monde parlant de plus en plus du discours de la semaine prochaine comme point de lancement pour un nouveau départ.

En effet, la crise de la Covid-19 aura montré, comme dans les autres pays du monde, le rôle des chefs de l’Etat dans la gestion de la situation sanitaire, économique, politique… Ici, au Maroc, malgré les appels et rappels du gouvernement à respecter les mesures sanitaires, malgré les communiqués des ministères et le silence coupable des autres (agriculture, diplomatie tourisme…), les Marocains savent que la direction était portée par le roi, à travers ses décisions décisives : le Fonds Covid, la mobilisation de l’armée, la coopération internationale…

Cette veille royale, aussi discrète qu’omniprésente, aura montré la centralité du pouvoir monarchique au Maroc, que l’on savait certes mais qui est aujourd’hui clairement confirmée. Les institutions ont fonctionné, mais tout le monde...

savait que derrière, le palais tenait le gouvernail. Et c’est grâce à cela que le royaume a pu échapper à une noria de cortèges funèbres par milliers. Mais le royaume n’est pas encore sorti de l’œil du virus.

Dans un Maroc secoué et qui tremble encore, où le gouvernement est bousculé et agit en ordre dispersé avec, progressivement, une prise de contrôle par le département de l’Intérieur qui corrige, à sa façon, les tergiversations des autres ministères, santé, affaires étrangères, économie…, le Marocain a besoin de confiance et d’assurance, et l’assurance passe par un pouvoir assuré et assurant une vision à court, moyen et long terme. A court terme pour sortir de la crise, à moyen terme pour relancer la machine et à long terme pour asseoir les conditions d’un développement intégré et durable et d’une démocratie qui ne serait plus en éternelle transition.

Tout est politique, dit-on, et seul le roi peut imprimer une logique et une vitesse nouvelles à la politique. On a vu des partis politiques se calfeutrer, attendant les décisions d’ « en haut », on a assisté à un gouvernement disloqué, dont les membres attendent les instructions d’ « en haut », on a entendu les populations désemparées par le confinement et l’état d’urgence sanitaire, guettant et louant les instructions venues d’ « en haut ».

La constitution est là, et l’opinion publique est divisée à son sujet. Les uns disent qu’il faut la suspendre quelque temps, pour relancer les choses, et les autres affirment que non, seule la constitution et la démocratie, dont le roi est garant, peuvent permettre au pays d’avancer. Certes, mais la démocratie a besoin de personnalités politiques fortes et compétentes, de partis forts et pertinents, d’une administration forte et agissante, et d’une population confiante. Il faut donc lire et relire la constitution, et aussi la lire entre les lignes…

Seul le roi, à travers un discours politique fort, au-delà des mesures économiques et factuelles et des actions spécifiques et sectorielles, peut imprimer un nouveau rythme au Maroc, et lui permettre de négocier ce tournant Covid dans le sens d’un nouveau modèle pertinent, dans la perspective d’un renouvellement prochain des classes politique et technocratique par d’autres, qui mériteraient leur nom. Seul le roi est apte à changer le pays en profondeur, et c’est ce que les Marocains semblent attendre profondément de ce discours.

Le virus a ses couronnes, destructrices, mais le Maroc a aussi la sienne, protectrice !

Aziz Boucetta