(Billet 374) – Les entreprises font des dons, mais l’Etat a le don de tout gâcher !

(Billet 374) – Les entreprises font des dons, mais l’Etat a le don de tout gâcher !

Les entreprises demandent la déductibilité de leurs dons, scandale fiscal qui s’étend comme une traînée de poudre virale ! Au moment où les gens subissent les affres de la crise et que la faillite menace les petites entreprises, les grosses veulent multiplier leurs prises et pour cela tous les moyens sont bons… Hchouma, voyons… Et bien non, les entreprises veulent simplement que l’Etat tienne ses engagements.

Souvenons-nous… Nous sommes en mars 2020, nous sommes inquiets, nous sommes angoissés, nous ne savons pas ce qui se passera alors même que les Italiens tombent en grappes et que les Français et les Espagnols s’y préparent aussi. Le roi Mohammed VI lance alors l’idée, donc l’ordre, de créer un Fond Covid, alimenté à hauteur de 10 milliards de DH par l’Etat. Aussitôt dit, aussitôt fait, et le 17 mars, le Fonds est créé et les deux hommes les plus riches du royaume donnent le ton. Othman Benjelloun met un milliard de DH dans la cagnotte, et Aziz Akhannouch lui emboîte le pas, immédiatement après. Puis c’est au tour d’al Mada, du Groupe OCP, de la CDG, des banques et des autres.

Une semaine plus tard, la Direction générale des impôts (DGI) commet un communiqué on ne peut plus officiel, annonçant que ces versements entrent dans le cadre normal du don, et « revêtent le caractère de charges comptables déductibles du résultat fiscal ». Tout va bien alors, l’argent coule à flots… mais, en juillet, coup de théâtre : les députés de la Chambre n°1 suppriment cette déductibilité, sur proposition du PAM, de l’Istiqlal et du PPS. Leur argument principal et commun ? L’injustice consistant à faire bénéficier les entreprises de la déductibilité et pas les autres contributeurs, essentiellement salariés et fonctionnaires.

Résultat : la CGEM monte au créneau, l’opposition monte sur ses grands chevaux et les médias montent en épingle cette affaire, où tout le monde a raison, mais où la raison doit primer.

1/ La CGEM et les entreprises donatrices. Elles ont donné de l’argent, rapidement et massivement, il faut les en remercier. La DGI rappelle à toutes et à toute fin utile que ces dons sont déductibles, conformément à la loi. CGEM et membres réclament alors...

logiquement et légalement le maintien de la déductibilité.

2/ La DGI. Elle ne crée pas une nouvelle règle, ce qu’au demeurant elle n’a aucun droit de faire, étant simple exécutrice des lois, mais se contente de rappeler celles existantes, histoire d’encourager les bonnes volontés.

3/ Les partis d’opposition. On les taxe de populistes, ce qu’ils sont certainement, mais pas dans cette affaire, où ils se contentent d’appeler à plus d’équité : ou on supprime cette déductibilité pour mettre tous les donateurs sur un pied d’égalité, ou on l’applique à tout le monde. L’informatique et les algorithmes sont là pour ça.

La seule institution qui ait tort dans cette affaire est, encore une fois, le gouvernement. Il a péché par négligence et insouciance, ou simplement par voracité et un chouiya d’arrogance. La politique est une chose publique, mais les grandes décisions se prennent dans les coulisses. Il semblerait ici que les canaux de dialogue entre l’exécutif et le législatif soient impénétrables, et que seule la politique politicienne compte. Les partis se sont très souvent rencontrés ces dernières semaines, mais pour causer de lointaines élections, et non de cet imminent point fiscal sur les dons. Le gouvernement aurait dû convaincre les chefs de partis avant d’aller se faire surprendre au parlement comme un bleu !

Cela étant, et connaissant la réalité de ce pays et les immenses facilités accordées, très légalement ou un peu moins, aux grandes entreprises, celles-ci seraient grandies de décider d’elles-mêmes de renoncer au principe de déductibilité. Et comme nos tycoons font (presque) tout comme la France, ils n’ont qu’à prendre exemple sur les Arnault et Pinault qui ont donné de l’argent pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris et qui, face au tollé suscité par l’éventualité de la déductibilité d’une part de leurs dons, ont fièrement annoncé qu’ils renonçaient à ce cadeau fiscal. Sans s’appauvrir pour autant…

Récupérer une partie des dons est normal et absolument légal, y renoncer serait un acte seigneurial et éminemment moral. Ce pays, aujourd’hui suffoqué par l’angoisse et qui a permis la construction de telles fortunes, serait infiniment reconnaissant à ces milliardaires qui sauraient lui renvoyer la balle, et qui se reconnaîtront…

Aziz Boucetta