(Billet 370) – Les élections entre parties prenantes, "partis prenants" et prises de têtes

(Billet 370) – Les élections entre parties prenantes, "partis prenants" et prises de têtes

Faisons comme si de rien n’était et poursuivons notre chemin sur la voie vertueuse de la démocratie triomphante ! Un calendrier est un calendrier et une date est une date ; rien ne justifie qu’on s’écarte du chemin que nous a tracée notre constitution. Et votons en 2021 ! Que l’on ait confiance ou non ne compte pas, que l’on soit en danger de paupérisation ou pas importe peu, l’essentiel est de voter… et le plus important est que les partis reçoivent leurs subventions, prennent leur part du gâteau. C’est important.

A propos de la votation, des formations politiques et de leur contribution à la grande marche du pays vers l’avant, rappelons quand même et à toute fin utile que si le Maroc a été obligé de tout fermer puis de s’enfermer, c’est parce qu’il ne disposait pas, et ne dispose toujours pas, d’un système de santé efficient. Mais l’essentiel est de voter, nous dit-on, car la démocratie, car la représentativité, car la volonté populaire…

Fort bien, alors procédons à une revue des forces en présence qui s’efforcent de masquer leur déliquescence, un véritable radeau de la Méduse ballotté par les flots démontés d’une population singulièrement remontée. Le parti de l’Istiqlal ne se renouvelle pas, le RNI s’apprête à vivre des jours difficiles, le PAM n’en finit pas d’essayer d’être en plus de paraître, le PJD que l’on pensait probe est rudement exposé à l’opprobre populaire… La dure et crue réalité est que les partis marocains ne parlent pas aux Marocains.

Or, ces derniers seront appelés à voter, soit, mais sans grande envie, car cette fois-ci ils endurent, subissent et éprouvent une effroyable situation psycho-socio-économique, et qu’aux élections, ils ne seront pas encore vraiment sortis de ses conséquences. En termes de marché, la demande politique sera forte, avec en face une offre politique rachitique… telle est l’équation à résoudre.

Lorsqu’on parle de parties prenantes aux élections, au Maroc, on fait toujours cette erreur d’oublier les électeurs, partie prenante par excellence. On cause mode de scrutin, découpage, seuil de représentation… et finances. Ah, les finances, nerf de la guerre électorale et destructrices de consciences…

Alors allons-y, pour ne pas mécontenter les chantres de la démocratie, ceux qui...

veulent encore croire que le Maroc sans élections serait un Maroc sans avenir, sans garantie, sans âme. Ils sont persuadés que les partis politiques se renouvelleront, se réviseront, se corrigeront, choisiront des candidats au mérite et non à la va-vite ou, pire, dans les familles et les proches de leurs Conducators, que les programmes seront véritablement étudiés et non des copiés-collés d’autres plateformes, que la démocratie interne fonctionnera pour que la démocratie tout court triomphe… … et que les électeurs seront au rendez-vous !

Mais rien n’est moins sûr. Observons ce qui se passe autour de nous et nous comprendrons que les peuples ont les nerfs à fleur de peau et sont au bord de la crise de nerfs. Les violences domestiques se multiplient, les attaques verbales prolifèrent, les dépressions augmentent… Nous sommes en guerre, contre l’invisible, et tous ceux qui n’ont aucune visibilité s’agrègeront. Dans un an, quand des centaines de milliers de gens seront au chômage longue durée, quand les classes moyennes verront se préciser leur déclassement, quand tous les mécontents seront définitivement exacerbés, et quand les partis viendront leur servir leurs bafouilles réchauffées, il y aura incontestablement un risque.

Lorsqu’on examine le degré de fébrilité du gouvernement aujourd’hui, un gouvernement ne sachant même pas comment sortir du confinement et relancer la machine, un gouvernement incapable de conserver en juin la confiance qu’il avait réussi à instaurer en mars, on peut raisonnablement douter de sa compétence à reconstruire ce qui a été détruit ou menace de l’être.

Aujourd’hui, dans le monde, on parle de révolution technologique après la Covid-19, et on distingue les prémisses d’une révolution culturelle où les muets parleront, où les nantis se tairont et où les politiques, forcément dépassés, se terreront. Si avec ces deux révolutions, la paupérisation se précise, les inégalités s’aggravent, l’impunité se maintient… nous risquerions d’être confrontés à une révolution sociale à laquelle ne pourra répondre qu’une évolution politique.

Non, organiser un scrutin « normal » dans une situation incertaine, peut-être malsaine, ne semble pas être une bonne idée. Ne pas l’organiser non plus. La solution, nécessairement, est entre les deux et c’est en labourant, en retournant la terre que l’on pourra trouver cette richesse.

Aziz Boucetta