(Billet 367) – La darija, arme puissante du Maroc contre la Covid-19 

(Billet 367) – La darija, arme puissante du Maroc contre la Covid-19 

Le meilleur moyen d’affronter une crise est de la… combattre. Et l’un des moyens les plus importants de l’arsenal déployé dans ce combat est la communication, qui se fait dans la langue parlée, comprise, la plus répandue. Au Maroc, c’est la darija. La Covid-19 est encore une occasion de revenir, avec sérénité si possible, sur cet éternel débat de la prééminence de l’arabe classique ou de la darija.

La constitution est définitivement claire, et à sa lecture, le sujet est clos : la langue officielle du Maroc est l’arabe, et l’autre langue officielle est l’amazighe. Fort bien. Mais la langue usuelle n’est citée nulle part, et pourtant, elle aura sauvé bien des vies, peut-être la nôtre aussi. Le fameux « bqa f darek » fut un moment sur toutes les lèvres, des grands et des petits, des analphabètes et des érudits, des pauvres et des nantis. Jamais nous n’avons entendu son équivalent en arabe, « ilzam baytak ».

A la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, dans les sites d’information et même de désinformation, il n’y avait que la darija et c’est grâce à cette langue, étrangement dédaignée, parfois même méprisée, que le Maroc officiel a su communiquer et expliquer le message essentiel du confinement. Il en va de même dans les structures publiques et les institutions, c’est la darija qui sert à transmettre les idées, quand on a vraiment envie qu’elles atteignent leurs cibles.

En effet, les différentes campagnes contre l’incivisme sur les routes, la violence à l’égard des femmes, la corruption, ou pour l’incitation à l’hygiène et la propreté… sont toutes déclinées avec des slogans en darija, et elles réalisent des résultats appréciables car elles parlent aux destinataires. Il en va de même pour le code de la route, dont l’examen est préparé et soutenu en darija, ou encore de la justice, où les interrogatoires des justiciables par les magistrats se déroule en darija, le reste en arabe.

Allons plus loin… les partis politiques les plus attachés à...

l’arabe, la pureté de l’arabe et la sacralité de l’arabe, transmettent leurs messages politiques en darija. Le succès populaire d’Abdelilah Benkirane était grandement dû à son usage de la darija dans ses campagnes électorales, et dans ses attaques nominales, et il en va de même pour le parti de l’Istiqlal, preux et valeureux chevalier de l’arabe et dont le porte-flambeau pour la question linguistique est le flamboyant Moulay Mhamed Khalifa, qui plaide pour l’arabe classique… en darija.

Nous nous retrouvons, donc, avec plusieurs langues au Maroc, et à chacune son usage : l’arabe pour l’identité (discutable) et l’histoire, le français pour de larges pans de l’économie formelle, l’anglais qui arrive et qui avance, et la darija pour nos échanges courants et les messages publics importants. Idéal pour fabriquer une société tiraillée par ses besoins et tenaillée par ses choix.

Nul ne reniera la beauté, la richesse voire même la noblesse de l’arabe, mais elle reste la langue de l’érudition, opposée à la langue de la population et de sa libre expression et, au final, le Maroc reste toujours en retard d’une langue. L’arabe est officiel mais la darija, bien en avance dans la création de nouveaux mots, est usuelle ; nous venons de décider d‘enseigner en français alors même que nos amis Français sont déjà passés à l’anglais comme langue essentielle, scientifique, mais aussi désormais artistique, voire politique.

On peut donc réfléchir autant qu’on veut sur le modèle de développement, à 36 ou à 36 millions, mettre tous les moyens que l’on voudra, élaborer tous les schémas et les plans que l’on pourra, introduire toutes les réformes que l’on entreverra… mais sans trancher sur la langue, le Maroc marchera toujours à deux vitesses. Généralisons résolument l’arabe à tout, en tout et partout, ou pensons à autre chose… sans crispation ni énervement, invective ou excommunication…

Entretemps, n’oublions pas que l’une des armes les plus puissantes que le Maroc a déployées contre la Covid-19 fut belle et bien la darija !

Aziz Boucetta