(Billet 361) – De quoi les partis politiques ont-ils peur ?

(Billet 361) – De quoi les partis politiques ont-ils peur ?

On sent comme un vent d’inquiétude qui souffle sur les états-majors des partis politiques marocains. Les uns et les autres, les uns à la suite des autres, ils appellent à respecter l’esprit, et la lettre aussi, de la constitution, et que seules des élections, à leur date, permettraient de se maintenir dans la logique constitutionnelle. On les comprend, ils vivent de ça.

Trois thèses se chevauchent : les tenants de la première soutiennent mordicus que seules les élections pourront sauver le pays, satisfaire ses populations, ancrer définitivement le royaume dans la logique démocratique, etc… Ceux qui portent la seconde thèse appellent à un moratoire sur les élections, pour les repousser de deux ou trois ans, le temps de remettre, voire mettre tout court, le train sur les rails. Et la 3ème thèse, elle, défend le principe d’un gouvernement temporaire d’union nationale, fait de compétences, pétri de bonne gouvernance, et appelé à doper la croissance.

Le seul grand oublié dans tout cela est… le peuple. En effet, il est difficile de tenir une élection sans électeurs, et les électeurs sont aujourd’hui occupés par la situation générale du pays et préoccupés par leur sort. Les uns ont perdu leur emploi, d’autres ont perdu du chiffre d’affaires, une grande part de la population, si rien n’apparaît de solide et de constructif, pourrait perdre espoir, et tous ou presque ont perdu confiance dans notre classe politique.

Il existe donc un décalage entre la demande politique, celle des populations, prises par secteurs et par catégories, et l’offre politique, représentée par les partis politiques. Et quand un tel décalage existe, c’est tout le marché politique qui est déséquilibré. Observons ce qui se passe dans les autres pays, et nous aurons une idée de ce qui pourrait se produire dans nos vertes contrées. Le rejet des classes politiques traditionnelles monte dans la même mesure que plongent les taux de participation électorale.

De nouvelles forces ont émergé ici et là, faites de populisme et de brutalité, empreintes de pensées courtes et de phrases choc, déclinées...

dans des programmes faciles et incarnées par des personnages sulfureux. Le monde politique était au bord du précipice, et il vient de faire un pas en avant… Les populistes reculent, les forces traditionnelles sont écrabouillées, et un grand vide s’annonce.

Au Maroc, il en va de même, sauf qu’il n’existe pas de forces nouvelles face à la déliquescence morale des formations classiques. Le PJD croule sous les esclandres éthiques et son corporatisme fondé sur le très discutable principe « Onssour akhaka… ». Le RNI risque de s‘écrouler avec des scandales annoncés. L’Istiqlal coule paisiblement car il est incapable de se réinventer, continuant de ressasser les anciens messages qui ont fait le bonheur des Boucetta, Douiri et des autres. Le PAM évoque le tir manqué d’une fusée, du feu et des flammes, encore plus de fumée, l’engin décolle sous les applaudissements, avant de retomber lourdement.

Où va-t-on alors, avec ces élections programmées et une désaffection populaire annoncée ? Bien malin qui le dira, dans une situation d’état d’urgence sanitaire, d’Etat quasi ruiné pour avoir consenti tant d’efforts et une population longtemps confinée, laminée dont la complainte et les cris deviendront de plus en plus forts.

Face à cela, on brandit la constitution, texte sacré s’il en faut, qui n’a même pas atteint les dix ans d’âge, dix ans où tant de choses ont radicalement changé : les conséquences et suites de la crise de 2008, les printemps arabes, le PJD, le boycott, un nouveau modèle de développement en gestation, le Covid… Persister à vouloir soigner nos maux anciens (classe politique moribonde, relève générationnelle, écart entre offre et demande politiques, fuite généralisée des cerveaux…) avec ce texte relève de la forfaiture.

On sait, nous autres musulmans, que seul le Coran est immuable et immarcescible. La constitution n’est pas le Coran. Elle peut donc se périmer, elle doit donc être amendée. Dans quel sens, vers quels objectifs ? Les partis craignent cela plus qu’un virus, mais le débat doit être ouvert car dans l’intervalle, le Maroc attend et le Marocain se tend.

Aziz Boucetta